Publié dans Réflexion

Les Misérables, un film de Ladj Ly : de la poésie à l’état brut

« Mes amis, retenez bien ceci : il n’y a pas de mauvaises herbes, ni de mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs ».

Victor Hugo, les Misérables

C’est sur ces vers de Victor Hugo que se termine le film-éponyme de Ladj Ly, les Misérables. Au sortir de la séance d’1h47mn, je comprends pourquoi ce film a été autant encensé. En général, je me méfie des œuvres (cinématographiques, ou encore littéraires), qui bénéficient d’avis dithyrambiques. Mais sur un sujet aussi sensible que les banlieues, je me doutais bien que Ladj Ly effectuerait un superbe travail. La preuve, depuis sa sortie en Novembre 2019, le film frôle le million d’entrées au box-office.

Nous sommes à Montfermeil, une commune d’Île de France, située dans le département de la Seine-Saint-Denis. Une commune voisine de Clichy-Sous-Bois, ville qui reste dans la mémoire collective (française) comme étant le catalyseur des émeutes des banlieues de 2005, avec la mort par électrocution de Zyad et Bouna, deux jeunes issus de cette ville. Période durant laquelle Nicolas Sarkozy aura sa bien triste formule : « exterminer la racaille au karcher ». La suite, on la connaît …

Et saviez-vous que Victor Hugo a écrit les Misérables à Montfermeil ? Donc, côté symbolique, Ladj Ly a fait le tour. La BAC fait la loi, interpelle, encaisse les pots de vin en guise de protection des malfrats, et ferme ainsi les yeux sur les malversations qui peuvent occurrir.

Gwada et Stéphane sont les deux officiers en charge du secteur, patrouillant au jour le jour, et avec l’aide de Monsieur le Maire – caïd faisant la loi – tous les coins de la cité sont balisés. La team se voit secouée avec l’arrivée de Stéphane, la nouvelle recrue, qui ne partage pas trop leurs méthodes brutales et expéditives.

Le film saisit l’occasion d’un fait divers survenu à Montfermeil en 2005 : un lionceau a disparu d’un cirque éphémère installé dans la ville et c’est le fait des gamins du coin. Dans l’optique de le retrouver, car ne voulant pas que les Roms à l’origine du cirque et les groupes de jeunes s’affrontent, les officiers de la BAC se mettent à sa recherche. Cette recherche dégénère, car le petit soupçonné d’avoir subtilisé le lionceau, prend un coup de taser dans l’œil. Incarné par le brillant Issa Perica, le personnage d’Issa est tout en finesse, défiance de l’autorité et est déjà un meneur à son jeune âge. La brutalité dont il fait l’objet est filmé avec le drône de Al Hassan Ly, qui joue le personnage de Buzz.

Dans l’optique de retrouver la carte du drône qui a filmé la scène et la détruire, effaçant ainsi toute preuve de brutalité de la BAC, Chris et Gwada se mettent à la recherche du petit Buzz, qui a trouvé refuge chez Salah, incarné par Almamy Mam Kanouté. Il crève l’écran, tant il en impose autant physiquement que spirituellement, ancien malfrat reconverti, autorité morale chez qui les jeunes peuvent toujours trouver refuge. Ses dialogues, agrémentés de paraboles, m’ont ravie, car autour du chaos ambiant qu’est la cité, il est un havre de paix.

J’ai lu parmi la pléthore de critiques parues dans la presse, que Ladj Ly a fait un film « nécessaire ». Je n’aurais pu dire mieux, car entre le centre de la société qui leur fait comprendre qu’ils doivent rester à la marge, « les misérables » qui peuplent les banlieues cherchent un sens à leur existence. Sens qu’ils pensent trouver dans les stupéfiants, dans les bandes, dans la religion … Car avec des parents débordés et occupés à trouver de quoi subsister, les enfants sont laissés à eux-mêmes. Les filles comme les garçons sont d’une sensibilité extrême, et cette sensibilité laissera la place à quantité de dérives.

Le silence qui s’est abattu sur la salle de cinéma après le film est révélateur de beaucoup de choses. Entre les racisés qui n’ont pas manqué de pleurer face à certaines scènes et les blancs qui rougissaient quand les policiers brutalisaient les jeunes, il y avait de quoi refaire un autre film. Tout est une question de perspective, après tout.

Mais s’il y a bien une chose que je reprocherais au film, ce serait la trop peu présence féminine à l’écran. Une scène nous montre des femmes, regroupées dans une chambre à faire une tontine.

Est-ce à dire que lorsque l’on traite de choses importantes, les femmes sont au second plan ? Hum … Le film Banlieusards. de KERY JAMES avait essuyé la même critique. Sous fond de mysoginie, la fracture genrée apparaît nettement, et les hommes continuent de prendre le lead.

Bonne lecture,

NFK