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Lu et adoré : Mariama Bâ, ou les allées d’un destin de Mame Coumba Ndiaye

téléchargementJ’ai toujours dit – parlant de Mariama Bâ – qu’elle avait trop peu écrit. Cette faible bibliographie n’empêche pas l’œuvre qu’elle nous a laissée d’être très dense. Qui n’a pas lu et relu Une si longue lettre, soupiré à la lecture de la correspondance entre Ramatoulaye et Aïssatou, ou maudit Modou, le mari piqué par le démon de midi ? Ou encore pleuré devant le destin si tragique de Mireille dans Un chant écarlate, la maman du bébé ni noir, ni blanc, le niouloul xéssoul.

En parlant d’Un chant écarlate, je considère ce deuxième roman de Mariama Bâ (publié à titre posthume, quelques temps après sa mort), comme son chef – d’œuvre. Il n’est pas dit que je n’ai pas aimé Une si longue lettre, que nenni … Mais je trouve Un chant écarlate, plus abouti, dû surtout aux thématiques abordées. De plus, Une si longue lettre lui a fait de l’ombre. Ce livre gagnerait à être mieux connu … Pour vous faire une idée, j’en ai fait une note de lecture consultable juste ici : https://cequejaidanslatete.wordpress.com/2014/12/23/jai-lu-un-chant-ecarlate-de-mariama-ba/.

De temps à autre, je relisais l’un ou l’autre des ouvrages, nostalgique de cette belle plume, que la cruauté du sort nous a très tôt arrachés, et parcourant le net à la recherche d’images d’archives, d’articles, ou de discours écrits par la talentueuse romancière. Jusqu’à ce qu’une tata aussi mordue de livres que moi m’informe d’une biographie sur Mariama Bâ écrite par une de ses filles, Mame Coumba Ndiaye.

Le livre enfin en ma possession, je commençai à le savourer. La dernière page refermée, je rejoins l’avis de cette même tata qui m’a dit qu’après sa lecture, elle s’est sentie « toute chose ». Mais n’allons pas vite en besogne, commençons par le commencement …

IMG_6576La préface, écrite par Aminata Maïga Kâ, une promotionnaire de Mariama Bâ à l’Ecole Normale des Jeunes Filles de Rufisque, annonce déjà la couleur. Mame Coumba Ndiaye aura réussi l’exercice ô combien difficile de se dédoubler, à savoir de se débarrasser de sa robe de fille pour endosser celle de biographe. Exercice réussi, car je présume que ce ne fut pas évident d’avoir une telle mère pétrie de talent, et de la voir juste comme un être humain avec ses angoisses, ses coups de colère, ses joies, ses peines …

Mariama Bâ voit le jour le 17 Avril 1929. Elle aurait fêté ses 87 ans en 2016. Convaincue que l’avenir des femmes se trouve dans leur instruction, son père insiste pour qu’elle aille à l’école. Sa grand – mère, qui l’avait prise sous son aile à la mort de sa mère, de même que sa sœur Maguette Bâ, résistera tant bien que mal, puis capitulera. Le père n’avait pas tort. La jeune Mariama se révélera très douée à l’école, forte en français et dotée d’une sublime élocution. Ses talents d’auteure se révèlent précocement avec Petite patrie, texte écrit en hommage aux années vécues chez sa grand – mère dans la grande concession familiale, où sa foi musulmane s’est retrouvée renforcée.

La jeune Mariama Bâ continue son éducation scholastique. Sortie major de sa promotion, elle se marie une première fois, pour finir par divorcer, puis une deuxième fois, puis une troisième fois, pour divorcer encore une fois. Celle qui ne croyait en l’épanouissement « que dans le couple », n’aura pas eu de chance en amour.

Et c’est là que l’ouvrage de Mame Coumba Ndiaye revêt tout son sens. Elle se pose en spectateur critique de la vie de sa femme, la décrivant comme une femme en avance sur son temps, refusant toute compromission, et faisant fi des convenances. Sa carrière de romancière ayant explosé, les critiques commencent à fuser, la décrivant comme une « féministe » (terme péjoratif à l’époque), qui prône la modernité. Alors qu’entre deux, Mariama Bâ fut avant tout une mère. L’auteure nous plonge dans la vie de tous les jours d’une mère de famille chargée d’élever neuf enfants (dont la plupart sont des filles), etangoissée à l’idée de ne pas les comprendre.

Le Sénégal est en pleine mutation. Les femmes commencent à s’émanciper et a avoir droit à la parole. Mariama Bâ peut être considérée à raison comme l’une des pionnières de l’émancipation féminine. Partout où sa voix peut être entendue, elle ira. Sa popularité dûe à la publication de son livre allant crescendo, elle sera même déstabilisée face à ce phénomène. Des femmes de par le monde lui écrivent, s’identifiant aux deux protagonistes dans Une si longue lettre.

La consécration arrive en 1980, quand elle revient de la Foire de Francfort auréolée de gloire. Mais le destin viendra se mettre en travers de cette ascension prometteuse. Le cancer la rattrape, et elle vivra les derniers instants de sa vie dans une fièvre créatrice, consignant dans un petit cahier ses pensées, s’en remettant à Dieu …

Mame Coumba Ndiaye a écrit un livre bouleversant, dont on ne sort pas indemne. On est tour à tour partagé entre l’admiration d’une femme qui aura été insoumise jusqu’au bout, refusant de plier sous le poids des traditions, l’émotion devant son cœur de mère gonflé d’amour lors des scènes entre elle et ses filles, la joie quand elle traverse les aléas de la vie la tête haute, mais aussi la tristesse quand on visualise son combat contre la maladie et sa dignité pour vivre, envers et contre tous.

mariama baComme l’a si bien dit Mame Coumba Ndiaye, « Ce que le temps n’a pas voulu accorder à Mariama Bâ, elle l’a gagné dans le cœur des hommes ».

Mariama Bâ ou les allées d’un destin, un livre à lire et à faire lire !

Bonne lecture,

NFK

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Lu et approuvé : Baaba Maal, le message en chantant – Oumar Demba Bâ

IMG_6352« Oumar Demba Bâ a écrit un ouvrage didactique ». C’est la phrase que j’ai eu en tête quand j’ai refermé la dernière page de ce livre dédié à Baaba Maal et à son œuvre, tant la lecture de ce livre sur non seulement la musique de Baaba Maal (normal vu qu’il est le sujet principal), mais aussi sur les valeurs et rites qui font la poulagou, la communauté Hal Pulaar.

Après le livre consacré à Omar Pène (dont j’ai parlé ici : https://cequejaidanslatete.wordpress.com/2016/04/27/lu-omar-pene-un-destin-en-musique-de-babacar-mbaye-diop/), c’est avec un grand plaisir que j’ai su la parution d’un autre livre, cette fois – ci centré autour des œuvres de Baaba Maal, le roi du Yéla. Je crois fermement que les personnalités publiques, quel que puisse être leur domaine d’activité, doivent léguer, en sus de leurs œuvres, des écrits. Cela aidera les jeunes en quête de modèles à s’y retrouver.

L’histoire commence dans la région de Podor, sur les bords du fleuve Sénégal. Le jeune Baaba, issu de l’ethnie Thiouballo, les maîtres du fleuve, était destiné à une carrière de Diaaltaabé, du nom que l’on donne à celui qui maîtrisait les connaissances ésotériques du fleuves, inaccessibles au profane. Mais le destin en décidera autrement. Baaba, fasciné par la voix mélodieuse du paternel, ancien combattant reconverti en muezzin, commencera à développer un intérêt certain pour la musique. Ce que son père n’acceptera pas. Son fils n’était pas un griot, mais un Thioubalo digne de ce nom, donc un noble. Il ira à l’école, fera des études et exercera une profession autre que celle de musicien.

La vie du jeune Baaba se partagera entre Podor et Ndioum, autre région du Fouta, fief de sa famille maternelle. Après les études primaires, il migrera vers Saint – Louis, où son talent sera pleinement reconnu, à travers les animations socio – culturelles que son Lycée Charles de Gaulle lui permettra de découvrir.

baaba-maal-650x330.jpgNul n’échappe à son destin. La musique faisait partie de l’Adn de Baaba Maal. Poursuivant ses études à l’Ecole des Beaux – Arts, et se produisant de temps à autre avec son premier groupe, le Lasly Fouta, il interprétera avec brio Taara, célèbre chanson à la gloire de El Hadj Oumar Foutiyou Tall, le célèbre résistant, tombé sur le champ d’honneur. Le père, conquis, donnera son aval et sa mère s’improvisera conseillère artistique. La complicité mère – enfant sera mise à l’honneur dans la chanson Baayo que Baaba Maal avait dédiée à Aissatou Wade, la mère chérie.

Baaba Maal c’est aussi l’harmonie entre tradition et modernité. Imprégné de sa culture pulaar, mais aussi désireux de s’ouvrir sur le monde, assoiffé de connaissances, il voudra conquérir le monde, avec son groupe mis sur pied, le Daandé Lenol, littéralement la Voix du Peuple. Avec à ses côtés Mansour Seck, le maître Gawlo, Baaba Maal se fera la voix des sans – voix, défenseur de la cause des opprimés, revisitant de par sa superbe voix l’histoire du peuple foutanké, ses us et coutumes qui ont bercé sa jeunesse sur les rivages du fleuve Sénégal.

Le livre de Oumar Demba ne se lit pas comme une simple biographie. L’auteur a eu le génie de glisser entre deux anecdotes sur Baaba Maal, des explications sur la poulagou, les fondements qui la régissent, les grandes figures qui ont fait la fierté de ce peuple, afin de mieux renseigner les Ndjoudou Diéry tels que moi.

Un livre à lire et à faire lire,

Excellente lecture,

NFK

 

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Faut – il être méchant pour réussir?

Les réseaux sociaux regorgent de pépites … Parmi elles, ce texte que l’on m’a fait lire et que j’ai eu envie de partager après l’avoir parcouru. Ne connaissant pas son auteur (car il n’était pas mentionné), j’ai pris la liberté de le retranscrire ici.

Si jamais son auteur (e) passe par ici, il/elle pourra se signaler …

reussiteFaut – il être méchant pour réussir?

Non, il vaut mieux avoir du talent. Et pour réussir à grande, à très grande échelle, il faut même le talent d’inspirer les autres, de leur donner du souffle, de l’envie, de la liberté, des idées – ce qui n’est pas loin de s’appeler gentillesse. Evidemment, la gentillesse a mauvaise presse. On la soupçonne de niaiserie ou de sensiblerie – « Il est gentil, un peu trop peut – être … » -, tandis qu’on prête volontiers toutes les vertus à la méchanceté. On imagine le méchant stratège, calculateur, fort. On le voit en killer d’entreprise, en animal politique à la peau dure, et on répète à l’envi la phrase de Gide : « On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. » 

C’est dire à quel point, dans tous les champs de la réussite occidentale, la méchanceté est valorisée au détriment d’une gentillesse qui fait un peu pitié. C’est oublier la valeur aristocratique de la gentillesse : tout le monde ne peut pas se permettre de réussir en se comportant bien; de chercher à retrouver le geste du gentilhomme plus que celui du simple conquérant. Pour réussir, il ne faut pas chercher à passer devant les autres mais à se dépasser soi – même. Vouloir écraser les autres, c’est obéir à la pulsion. Réussir vraiment, c’est sublimet la pulsion refoulée. Ne confondons pas la méchanceté avec la sublimation de l’agressivité naturelle.

L’agressivité est probablement l’un des moteurs décisifs de nos combats, de notre créativité, de notre réussite, mais ceux qui réussissent vraiment ne sont pas ceux qui se livrent à elle. Le talent vient souvent de ce que nous savons faire de notre agressivité refoulée : de notre capacité à la sublimer. Le méchant y échoue, égaré bien souvent dans ses pulsions contre – productives. Il consomme son énergie à vouloir nuire au lieu de l’employer à inventer l’avenir. Convaincu qu’il faut diviser pour régner, il conçoit le pouvoir comme une prise. Il fantasme l’accroissement de son pouvoir dans ce qu’il prend aux autres. Le temps, bien souvent, aura raison de lui. Il finira par rencontrer plus méchant que lui et, même si cela n’arrive jamais, il aura vécu toute sa vie dans cette crainte. Il n’aura pas consolidé son pouvoir dans ce qu’il aura su donner aux autres. L’inventeur, le philosophe, le manager, le chef d’équipe, l’être charismatique … tous accroissent leur pouvoir en en offrant aux autres : avoir du pouvoir, c’est donner du pouvoir. C’est déléguer, déclencher, inspirer. Se montrer capable de cette forme supérieure de « gentillesse », qui n’exclut ni l’intérêt ni la sublimation de l’agressivité primitive. Il ne faut pas être méchant pour réussir mais assumer l’ambivalence qui nous fait homme et en faire quelque chose […]

Très bonne lecture,

NFK

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Dak’Art 2016 : mes coups de cœur

dakartPour les amateurs d’art contemporain africain et les artistes, la Biennale de l’Art – Dak’Art est un événement important à inscrire dans les agendas. Ayant lieu tous les deux ans dans la capitale sénégalaise, elle s’étale sur un mois, trente jours durant lesquels Dakar vibre au rythme de la création artistique. Instituée en 1989 par l’Etat du Sénégal (avec une seule édition dédiée aux Lettres en 1990), elle aura pour volet l’art contemporain deux ans plus tard, en 1992, avant de se tourner définitivement vers la création africaine contemporaine en 1996. Sans faire ma chauvine (sisi un peu quand même !), le Dak’Art subsiste vingt – six ans encore, bon an mal an, car c’est l’un des seuls événements qui a lieu en terre africaine et met à l’honneur les créateurs africains …

Petite, je ne me rendais pas compte qu’une telle manifestation se tenait dans nos murs. Je passais devant la galerie nationale, qui se situait à quelques encablures de mon ancien collège, en jetant un œil distrait à ce lieu brillamment éclairé et empli de tableaux. Mais en grandissant, j’ai pris la mesure de cet événement de haute facture. Son logo, créé par feu Amadou Sow, peintre, sculpteur et artiste graphique sénégalais, subit à chaque édition une légère modification, mais la trame reste la même.

L’édition 2014 m’avait trouvée en sol sénégalais, et lorsque ma venue au pays a coïncidé avec l’édition 2016, je me suis dit que décidément j’étais bénie des dieux !

Avec comme thème le réenchantement, la 12e édition du Dak’Art avec comme commissaire Simon Njami, enchante les innombrables visiteurs qui prennent d’assaut les « OFF » dispersés aux quatre coins de la capitale.

La cité dans le jour bleu, l’exposition phare du Dak’Art, est la première que j’ai visitée. Installée dans l’ancien palais de justice, sis au Cap Manuel, haut lieu symbolique de la vie politique du Sénégal post – indépendance, mais dans un état de décrépitude avancé, regroupe une palette de créations répondant au thème choisi sous fond bleu, pour coller au thème. Salles d’audience réenchantées en galeries d’art, le lieu est méconnaissable et fait peau neuve.

Au rez – de – chaussée, l’on tombe sur un portrait grandeur nature fait à partir de clous d’un homme qui vous fixe et semble vous suivre du regard à mesure que vous vous déplacez dans l’édifice. Ce portrait, œuvre de l’artiste Alexis Peskine, continue dans la lignée de la création personnelle de l’artiste : l’acupeinture, où les clous, le bois, et la peinture sont mixés pour donner un mélange éclectique. En traversant la cour du bâtiment, l’on accède par une porte mitoyenne à une grande salle où trône un trône recouvert de velours rouge et surmonté d’un aigle doré … Le trône d’un empereur, dirait – on. L’artiste Fabrice Monteiro invite le visiteur à une réflexion autour des dérives du pouvoir. Des hauts – parleurs distillent des bribes de discours de dictateurs déchus tels que Mobutu, Idi Amin Dada … En partant, le visiteur peut laisser quelques mots dans le livre d’or intitulé ‘Vox Populi’ (la voix du peuple) …

A part l’ancien Palais de Justice, l’exposition qu’a proposée l’artiste Pascal Nampémanla Traoré a largement valu le détour. Sise dans une cour en plein centre – ville dakarois et intitulée Daily Report, elle s’est essentiellement de dessins sur papier journal. Le journal, cet élément faisant partie intégrante de nos vies et qu’on jette une fois « consommé », à savoir lu. Pascal lui donne une seconde vie et nous pousse à voir d’un œil nouveau ce support de lecture. Masques, dessins, portraits sont habilement réalisés dans un savant mélange d’encre et de café. L’artiste réussit un coup de maître dans son « café de l’info » au goût doux – amer …

La Galerie Antenna n’a pas été en reste dans cette programmation du Dak’Art 2016. Située en plein centre – ville dakarois, à quelques encablures du palais présidentiel, elle a offert une intéressante programmation sous le signe de l’or du temps. Papi, jeune artiste sénégalais dont les tableaux revêtent un délicat liseré doré, a exposé ses tableaux dans la galerie. Portraits (notamment du célèbre photographe Malick Sidibé), scènes de vie, tableaux à thèmes ont constitué l’essentiel de sa production mise à disposition chez Antenna. Maud Villaret, jeune artiste française travaillant autour du wax à travers sa marque Toubab Paris, a aussi exposé ses créations dans la galerie. Colliers, broches, bracelets, véritables œuvres d’art mixées avec du jean, des pierres Swarovski pouvaient être admirées dans la galerie. Comme quoi, la galerie ce n’est pas uniquement des peintures et sculptures …

Rufisque, ville située à 25 km au sud – est de Dakar est une localité empreinte d’histoire (s). Ancienne commune de plein exercice du temps de la colonisation au même titre que Dakar, Gorée et Saint – Louis, elle est dans un état de délabrement avancé. Les édifices coloniaux, vieux de plusieurs décennies, n’ont jamais été restaurés ou même remplacés. Boubacar Touré Mandemory, photographe issu de la ville, mène depuis longtemps un combat de sensibilisation pour la sauvegarde de ce patrimoine historique. Pour les besoins du Dak’Art, il s’est entouré d’un collectif de jeunes photographes. Avec l’appui de la fondation Sococim, les photographies sont exposées au Centre culturel Maurice Guèye et redorent le blason de cette vieille ville qui a vu passer d’illustres hommes tels que le romancier Abdoulaye Sadji.

Ces quelques expositions visitées ça et là à travers Dakar constituent l’essentiel de mes plébiscites pour le Dak’Art 2016. Pour le moment … Car il faut bien que le réenchantement dure encore longtemps, pour coller au thème de cette biennale 2016 !

Bonne lecture,

NFK