Du 19 au 24 Mars 2019, Dakar a abrité la première édition des Sabbar Artistiques. Les Sabbar Artistiques, kesako? Vous n’êtes pas sans savoir ce qu’est un sabbar, cette danse rythmique, disons même endiablée, typiquement sénégalaise, qui se distingue par ses battements de tam – tam saccadés, invitant à se trémousser au sein du cercle formé. Durant les séances de sabbar, parfois diurnes, mais le plus souvent nocturnes, les batteurs rivalisent d’ingéniosité pour créer des rythmes et ainsi pousser les danseuses à se surpasser et rivaliser d’élégance. Depuis la nuit des temps, des danses sont apparues et ont fait les beaux jours des sabbar. Je peux citer de mémoire le bara mbaye, le cëbu jën (oui, oui comme le plat national), au moyen de percussions aux noms aussi alambiqués que le thiole, le mbeng mbeng … Si vous voulez en savoir plus sur les sabbar et toute leur histoire, et surtout voir comment ça se danse, Google et YouTube vous seront d’une plus grande utilité que moi.
Le nom de Sabbar n’aurait été mieux choisi pour illustrer ce marathon de panels, projections de films, expositions, discussions et voyages qui ont été notre lot durant tous ces jours. Voyages, car pour certaines venant à Dakar pour la première fois, d’autres pour une fois supplémentaire, et moi revenant au bercail, nous avons été à la rencontre de réalités que nous ne faisions qu’effleurer et apercevoir au loin.
La notion de réflexivité qui était au cœur de ces Sabbar artistiques et sur laquelle insistaient les organisatrices revêtait tout son sens, car nous avons réfléchi durant nos échanges, débattu, fait converger ou diverger nos opinions, mais nous nous sommes aussi posées en tant qu’objets de nos réflexions. En faisant tourner la réflexion sur nous – mêmes, nous en avons à la fois été les sujets et les objets. En venant chacune avec nos domaines de compétences, nos connaissances, mais aussi nos vécus et trajectoires, nous avons pesé et réévalué nos discours et pratiques.
La team derrière cette première édition des Sabbar artistiques était composée de Rama Thiaw, fondatrice et curatrice, Caroline Blache, co – curatrice, Fatou Kiné Diouf, chargée de production, Yannis Gaye, infographie et Community manager, Oumy Régina Sambou, chargée des relations presse. A l’image de cette team hétéroclite, les Sabbar ont vu passer des femmes (et des hommes même s’ils étaient minoritaires) aux parcours différents. J’ai participé à quatre panels : l’un portant sur la convergence / divergence des luttes africaines et afro – descendantes, le deuxième sur les luttes féministes, espaces publics et religieux, le troisième sur le style et le parcours singuliers dans la littérature, et enfin le dernier sur l’héritage de Mariama Bâ et Audre Lorde : entre réalisme et science – fiction. J’ai profité de ma venue pour les Sabbar pour répondre à l’invitation du Musée des Civilisations Noires de Dakar qui organisait un panel sur les productions artistiques et les problématiques de genre.
Au cours de ces panels, j’ai eu à côtoyer des femmes telles que Fatou Sow, Myriam Thiam, Adama Sow, homme et journaliste, Dolores Bakela, Régina Sambou, Fatou Sow (sociologue réputée que j’admiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiire énormément), Ken Bugul … En croisant et dénouant le fil qui nous séparait nous Africaines sur le continent et afro – descendantes vivant en Occident (à défaut d’une autre appellation), nous nous sommes rendues compte que nous ne faisions que nous croiser, sans nous voir réellement. Les discussions m’ont – à mon niveau – permis de voir que ces jeunes femmes que je côtoyais étaient en proie à plusieurs difficultés que je qualifierai d’intersectionnelles (car la plupart identitaires), et qu’il n’était pas évident de pouvoir les démêler. En croisant nos expériences, moi qui suis allée en France à ma majorité et elles ayant vécu toute leur vie là-bas, nous nous sommes rendues compte que nous étions différentes. Et cette différence était salutaire. Marie Angélique Savané, figure de proue du féminisme sénégalais, a livré une contribution plus qu’appréciée.
Le Sénégal est un pays ayant connu plusieurs mutations, notamment dans les luttes féministes. Durant nos échanges, Fatou Sow a parlé d’un islam que nous vivons au Sénégal qui jette une chape de plomb sur les libertés, notamment féminines : « un islam culturalisé ». Une façon de pratiquer la religion savamment mélangée à la culture et destiné à garder les femmes à la marge. S’en sont suivis des échanges intéressants avec le public, dans lequel figurait d’ailleurs Aminata Sow Fall, doyenne des lettres sénégalaises.
Le panel portant sur les trajectoires littéraires a eu lieu à l’Institut Français. Avec Ken Bugul, Kidi Bebey, Ayesha Attah, nous sommes allées au Cameroun, au Ghana, en passant par la France, pour revenir au Sénégal, parler de nos trajectoires littéraires, de la construction de nos personnages et ce qui constitue la singularité de nos identités féminines dans notre processus d’écriture. Ken Bugul a livré un message fort à l’issue de ce panel en revenant sur son histoire personnelle et ce qui fait qu’elle est ce personnage si atypique.
Le vendredi, le Musée des Civilisations Noires, édifice somptueux dédié à l’art africain, a organisé un panel autour des productions artistiques et des problématiques de genre, avec Leila Adjovi, photographe, Rama Diaw, styliste et moi. En croisant nos identités féminines et notre art, nous en sommes arrivées à penser qu’il fallait déconstruire les stéréotypes de genre.
Le samedi, avec les Sabbar, nous sommes allées à Gorée, où nous nous sommes posées dans la superbe demeure du cinéaste Jo Gaï Ramaka. En faisant une comparaison entre Mariama Bâ et Audre Lorde, nous nous sommes posées la question de savoir si nous nous positionnions du côté du réalisme ou a contrario de la science – fiction.
Les Sabbar artistiques se sont clôturés dimanche, mais ma part de panels s’est terminée samedi. Je suis rentrée à Paris la tête pleine d’images, de sons, de rencontres enrichissantes, qui donneront lieu sous peu à d’autres rencontres et événements de qualité. La team des Sabbar a effectué un travail titanesque et pour une 1ère édition, je leur tire mon mussor. Car organiser un tel événement, faire converger vers Dakar autant de personnes, je sais que ce n’est pas un travail facile, ni évident. De plus, les espaces de discussion se faisant rares, il urge que ce genre d’initiatives perdure. Les feedbacks après le retour ont été dithyrambiques. Espérons que les soutiens s’ensuivent, pour que l’équipe tienne très vite l’édition 2.
Kudos !
Excellente lecture !
NFK