Si vous avez regardé #Chambre2806, le film-documentaire réalisé par Jalil Lespert pour Netflix, lisez ces lignes, sinon continuez de scroller, car le spoil, c’est mon kif 😉
Je l’ai binge-watché en deux jours et j’ai vu tout à l’heure qu’il était #1 des tendances Netflix en France. C’est dire tout l’intérêt que l’affaire ayant opposé Dominique Strauss-Kahn à Nafissatou Diallo continue de faire couler beaucoup d’encre, de salive et fait son incursion dans le monde cinématographique. Nafissatou Diallo a annoncé qu’elle publierait un livre d’ici peu. Donc, la sphère livresque viendra s’ajouter à tout cela. Par « affaire », j’entends bien sûr ce qui s’est passé entre la femme de chambre d’origine guinéenne et le tout-puissant patron du FMI, respecté dans le monde entier, car tirant les ficelles de l’économie internationale. Un viol d’après Nafissatou Diallo, une relation sexuelle consentie, doublée d’une volonté de lui nuire, car il est utile de rappeler que DSK était le grand favori des élections présidentielles françaises de 2012.
Dans le documentaire sobrement intitulé Chambre 2806, témoignages et vidéos d’archives se juxtaposent pour nous remettre dans l’ambiance de ces événements ayant eu lieu il y a neuf ans. force est de constater qu’en regardant à la suite les quatre épisodes de Chambre 2806, plusieurs questionnements ont émergé dans ma tête.
Tout d’abord, en regardant tout cela avec des yeux nouveaux, je me suis demandé si les faits avaient eu lieu en 2020, est-ce que les deux protagonistes auraient bénéficié d’un traitement médiatique différencié, en raison de l’intersection de leur genre et de leur statut social ? Et enfin, comment expliquer la masse de soutiens féminins (dont Anne Sinclair fut la tête de file) de DSK ? Je pense qu’avec l’avènement de #MeToo et #BalanceTonPorc, les événements auraient eu une toute autre teneur. Bien avant l’histoire du Sofitel, en 2003, Tristane Banon, journaliste et romancière, a failli être violée par DSK. En relatant à nouveau son histoire pour Chambre 2896 et en commentant les réactions qu’elle a reçues, notamment celle de sa mère, la femme politique Anne Mansouret, Tristane lâche une phrase qui résonne encore : « Ma mère et moi, nous ne sommes pas de la même génération ». Cela revient-il à dire que les violences sexuelles et tout ce qui s’en suit sont une question générationnelle ? Je ne suis pas loin de le penser, car en ayant été invitée pour une émission chez Thierry Ardisson, Tristane raconte ce qui lui est arrivé, Ardisson lâche un « J’adore ! », aussitôt suivi du rire des autres invités. Etant donné que les médias sont « Un lieu privilégié de véhicule des stéréotypes et des constructions identitaires sociaux aussi bien que sexués, (Thérenty, 2011), cela va sans dire que tout cela était en défaveur de Tristane, jeune femme blonde face à DSK, simple séducteur aimant un peu trop les femmes. On en parlera vite fait dans les médias, mettant l’accent sur le caractère charmeur de DSK, l’excusant presque et le confortant dans sa posture de mâle hégémonique, devant qui toutes les femmes doivent se soumettre.
Huit ans après l’épisode avec Tristane Banon, en 2011, place à Nafissatou Diallo. Vu le déphasage entre leurs deux univers, il est évident que Nafissatou Diallo ne pouvait savoir qui il était. Le bureau du Procureur de New-York, dans une volonté manifeste de la discréditer, fouille sa vie et en exhume les détails les plus sordides ; alors qu’elle le dit elle-même, son travail au Sofitel lui permettait de vivre son rêve américain.
Alors qu’en France, la surprise est grande parmi les défenseurs de DSK, aux USA, on ne parle que de NAfissatou, scrutant chaque centimètre de sa vie d’immigrée venant d’un pays d’Afrique subsaharienne pauvre, questionnant même le bien-fondé de sa demande d’asile qui lui a valu le séjour aux Usa. La vague de soutiens venant de ses collègues femmes de chambre est illustratif du classisme dont elle a souffert.
Parmi la pléthore d’intervenant.es acquis.es à la cause de DSK, contre Nafissatou qui, elle, n’a eu que son avocat et quelques autres spécialistes triés sur le volet, figurent Elisabeth Guigou et Jack Lang (à quand un documentaire sur ses amours effrénées avec des jeunes garçons marocains ?), respectivement ex-Garde des Sceaux et ex-Ministre de la Justice français. Ces deux intervenants sont très problématiques et excusent avec moult euphémismes les agissements de DSK, en poussant le vice jusqu’à dire que « DSK n’avait pas besoin de violer », exprimant à demi-mots la distance de race, de statut social et de genre entre DSK et Nafissatou Diallo. Et Anne Sinclair, que dire d’elle ? Je ne la comprends pas … L’amour est décidément aveugle !
Neuf ans plus tard, l’affaire du Carlton de Lille ayant éclaté, DSK renvoyé du FMI, mais continuant ses activités de consulting économique (en Afrique notamment, où son cabinet compte beaucoup de Chefs d’Etat comme clients), Nafissatou marquée au fer rouge par cette histoire, tentant tant bien que mal de (sur)vivre, je peux dire que le #DSKGate a posé les bases de la lutte mondiale contre les violences sexuelles. Même si les schémas classiques tels que la mise en doute des victimes perdure, à l’avantage de l’agresseur qui, lui, jouit de l’empathie populaire, les femmes mettent en place des schémas de contestation, inversant petit à petit la distorsion de genre qui est établie depuis si longtemps.
DSK a annoncé son docu-réponse pour 2021. Voyons voir ce qu’on verra !