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Chambre 2806, neuf ans plus tard …

Si vous avez regardé #Chambre2806, le film-documentaire réalisé par Jalil Lespert pour Netflix, lisez ces lignes, sinon continuez de scroller, car le spoil, c’est mon kif 😉

Je l’ai binge-watché en deux jours et j’ai vu tout à l’heure qu’il était #1 des tendances Netflix en France. C’est dire tout l’intérêt que l’affaire ayant opposé Dominique Strauss-Kahn à Nafissatou Diallo continue de faire couler beaucoup d’encre, de salive et fait son incursion dans le monde cinématographique. Nafissatou Diallo a annoncé qu’elle publierait un livre d’ici peu. Donc, la sphère livresque viendra s’ajouter à tout cela. Par « affaire », j’entends bien sûr ce qui s’est passé entre la femme de chambre d’origine guinéenne et le tout-puissant patron du FMI, respecté dans le monde entier, car tirant les ficelles de l’économie internationale. Un viol d’après Nafissatou Diallo, une relation sexuelle consentie, doublée d’une volonté de lui nuire, car il est utile de rappeler que DSK était le grand favori des élections présidentielles françaises de 2012.

Dans le documentaire sobrement intitulé Chambre 2806, témoignages et vidéos d’archives se juxtaposent pour nous remettre dans l’ambiance de ces événements ayant eu lieu il y a neuf ans. force est de constater qu’en regardant à la suite les quatre épisodes de Chambre 2806, plusieurs questionnements ont émergé dans ma tête.

Tout d’abord, en regardant tout cela avec des yeux nouveaux, je me suis demandé si les faits avaient eu lieu en 2020, est-ce que les deux protagonistes auraient bénéficié d’un traitement médiatique différencié, en raison de l’intersection de leur genre et de leur statut social ? Et enfin, comment expliquer la masse de soutiens féminins (dont Anne Sinclair fut la tête de file) de DSK ? Je pense qu’avec l’avènement de #MeToo et #BalanceTonPorc, les événements auraient eu une toute autre teneur. Bien avant l’histoire du Sofitel, en 2003, Tristane Banon, journaliste et romancière, a failli être violée par DSK. En relatant à nouveau son histoire pour Chambre 2896 et en commentant les réactions qu’elle a reçues, notamment celle de sa mère, la femme politique Anne Mansouret, Tristane lâche une phrase qui résonne encore : « Ma mère et moi, nous ne sommes pas de la même génération ». Cela revient-il à dire que les violences sexuelles et tout ce qui s’en suit sont une question générationnelle ? Je ne suis pas loin de le penser, car en ayant été invitée pour une émission chez Thierry Ardisson, Tristane raconte ce qui lui est arrivé, Ardisson lâche un « J’adore ! », aussitôt suivi du rire des autres invités. Etant donné que les médias sont « Un lieu privilégié de véhicule des stéréotypes et des constructions identitaires sociaux aussi bien que sexués, (Thérenty, 2011), cela va sans dire que tout cela était en défaveur de Tristane, jeune femme blonde face à DSK, simple séducteur aimant un peu trop les femmes. On en parlera vite fait dans les médias, mettant l’accent sur le caractère charmeur de DSK, l’excusant presque et le confortant dans sa posture de mâle hégémonique, devant qui toutes les femmes doivent se soumettre.

Huit ans après l’épisode avec Tristane Banon, en 2011, place à Nafissatou Diallo. Vu le déphasage entre leurs deux univers, il est évident que Nafissatou Diallo ne pouvait savoir qui il était. Le bureau du Procureur de New-York, dans une volonté manifeste de la discréditer, fouille sa vie et en exhume les détails les plus sordides ; alors qu’elle le dit elle-même, son travail au Sofitel lui permettait de vivre son rêve américain.

Alors qu’en France, la surprise est grande parmi les défenseurs de DSK, aux USA, on ne parle que de NAfissatou, scrutant chaque centimètre de sa vie d’immigrée venant d’un pays d’Afrique subsaharienne pauvre, questionnant même le bien-fondé de sa demande d’asile qui lui a valu le séjour aux Usa. La vague de soutiens venant de ses collègues femmes de chambre est illustratif du classisme dont elle a souffert.

Parmi la pléthore d’intervenant.es acquis.es à la cause de DSK, contre Nafissatou qui, elle, n’a eu que son avocat et quelques autres spécialistes triés sur le volet, figurent Elisabeth Guigou et Jack Lang (à quand un documentaire sur ses amours effrénées avec des jeunes garçons marocains ?), respectivement ex-Garde des Sceaux et ex-Ministre de la Justice français. Ces deux intervenants sont très problématiques et excusent avec moult euphémismes les agissements de DSK, en poussant le vice jusqu’à dire que « DSK n’avait pas besoin de violer », exprimant à demi-mots la distance de race, de statut social et de genre entre DSK et Nafissatou Diallo. Et Anne Sinclair, que dire d’elle ? Je ne la comprends pas … L’amour est décidément aveugle !

Neuf ans plus tard, l’affaire du Carlton de Lille ayant éclaté, DSK renvoyé du FMI, mais continuant ses activités de consulting économique (en Afrique notamment, où son cabinet compte beaucoup de Chefs d’Etat comme clients), Nafissatou marquée au fer rouge par cette histoire, tentant tant bien que mal de (sur)vivre, je peux dire que le #DSKGate a posé les bases de la lutte mondiale contre les violences sexuelles. Même si les schémas classiques tels que la mise en doute des victimes perdure, à l’avantage de l’agresseur qui, lui, jouit de l’empathie populaire, les femmes mettent en place des schémas de contestation, inversant petit à petit la distorsion de genre qui est établie depuis si longtemps.

DSK a annoncé son docu-réponse pour 2021. Voyons voir ce qu’on verra !

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La Nakamurance

A moins que vous ayez émigré sur une île déserte ces dernières années, vous ne pouvez pas être passé.e à côté du phénomène Aya Nakamura. Je l’assimile à un phénomène, et vous comprendrez pourquoi avec les lignes qui vont suivre.

Son premier album, sobrement intitulé Journal Intime, voit le jour en 2017. Certifié disque de platine depuis, il est immédiatement suivi d’un deuxième – Nakamura – en 2018. Je peux dire sans hésitation aucune que ce deuxième opus est celui de la confirmation. Qui n’a pas entendu au moins une fois en deux ans les paroles entêtantes de La Dot, Djadja, Copines ou encore Dans ma bulle ? Pas moi en tout cas … Car malgré le fait que je soie une anti-télé assumée, je n’ai pas pu échapper au matraquage médiatique autour de Aya Nakamura. Si j’ai pu m’y soustraire à travers la petite lucarne, je n’ai pas pu le faire sur les réseaux sociaux, particulièrement Twitter et Youtube, où ses clips m’étaient tout le temps suggérés. Et parlons-en de ces clips : explosion de couleurs, chorégraphies répétées à l’envi par les innombrables fans, formes savamment mises en avant, la sauce Aya avait tout pour prendre.

Mais à côté de ce succès fulgurant, l’autre côté de la médaille est peu reluisant. Comme l’écrit bell hooks dans From center to margin (hooks, 1984) : « A partir du moment où l’on commence à agir d’une manière qui dévie la norme de quelque façon que ce soit, il apparaît alors clairement qu’en réalité, il n’y a pas qu’une seule bonne manière de gérer ou d’interpréter les situations ».

Et il est clair que dans le paysage médiatico-culturel français, Aya détonne et s’écarte de la norme blanche, qui plus est. De ma position d’outsider, je suis tous ces débats autour de la race avec beaucoup d’intérêt, car autant ceux-ci n’ont jamais été aussi présents, aurant la volonté d’homogénéiser autour d’un idéal commun français où les couleurs sont gommées, n’a jamais été aussi prégnant, faisant fi de la croyance, de la couleur de la peau et de l’origine sociale. En d’autres termes, entre le classisme, le racisme et le sexisme, Aya Nakamura coche toutes les cases. Kimberlé Crenshaw aurait pu procéder à une actualisation de Mapping the margins (Crenshaw, 2005) avec la figure médiatique d’Aya Nakamura.

Twitter, réseau social par excellence pour étudier les discours médiatiques, est le catalyseur quotidien des joutes verbales entre les fans d’Aya, ses pourfendeurs et les médias. Il y a à boire et à manger …

Car les médias participent à entretenir le mythe de la jeune femme arrogante et trop sûre d’elle. Est-ce un crime ? Il semblerait que oui. D’aussi loin que je me souvienne, deux événements extra-musicaux ont concouru à accélérer cet amour-haine médiatique : un animateur a écorché son prénom lors d’une cérémonie de récompenses, et une photo d’elle au naturel a été postée sur les réseaux. Les médias, jouant sur cet état de fait, contribuent à être les représentants des technologies de pouvoir, orientant aisément les opinions des un.es et des autres, et disséquant les faits et gestes de la chanteuse.

L’essai de Robin Di Angelo, La fragilité blanche (Di Angelo, 2020), me vient à l’esprit lorsque je tombe sur certains titres d’articles. Il semblerait que les puristes blancs, amateurs de musique française, aient du mal à concevoir qu’Aya puisse être l’un des nouveaux visages de la pop française, et ce, en venant de la banlieue d’Aulnay Sous Bois. Ces « autres », longtemps cantonnés aux marges des zones banlieusardes, viennent se mettre au centre désormais et ça, ça a du mal à passer.

Je me dis que toutes ces jeunes et moins jeunes femmes en quête d’identité dans un pays qui la leur nie, ont trouvé leur modèle et cela contribue au succès fulgurant d’Aya, dont l’album éponyme vient de sortir. N’en déplaisent aux médias arcboutés sur leurs certitudes et aux hommes noirs, qui sont en haut de la listes des critiques d’Aya, grossissant le trait et se moquant de sa carrure et de sa peau foncée.

Pendant ce temps, Miss Nakamura brille.

Bonne lecture,

NFK

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Benen Level – Viviane Chidid

WhatsApp Image 2020-03-18 at 01.55.12jJ’ai découvert Viviane Chidid il y a deux bonnes décennies – comme la plupart des Sénégalais.es d’ailleurs. Joli minois, teint clair, voix cristalline, elle affichait comme choriste au sein du Super Etoile, formation musicale de Youssou Ndour, son lead vocal. Avant même que l’on sache qui elle était, je me rappelle que les rumeurs allaient bon train à son sujet : c’était une américaine venue tout droit des Etats-Unis pour suppléer Youssou Ndour aux chœurs. Car son phénotype et ses traits racés la classaient d’emblée dans une catégorie hybride, qui ne pouvait qu’être extra-sénégalaise. Car reprenant les duos classiques que Youssou Ndour avait faits avec des chanteuses américaines dont Neneh Cherry, l’américanité de Viviane Chidid ne saurait souffrir d’aucun doute. C’est dire la colonisation de nos imaginaires et notre idéal de beauté (féminin) lié à un ailleurs fantasmé ; mais ceci est un autre débat …

Toujours est-il que cette allure fortement influencée par l’Amérique joua fortement dans la construction de la carrière de Viviane Chidid. Plus tard, mariée à Bouba Ndour, frère de Youssou Ndour et producteur de son état, la machine Viviane Chidid fut lancée. Elle entama sa carrière solo et avec les textes de génie de son mari (il faut le reconnaître), sa carrière connut son envol.

Son premier album, Entre nous, sort en 1999 et je me souviendrai toujours de l’une des chansons phares de cet album, le célébrissime Sama Néné, qui acheva de la propulser. Je me souviendrai toujours de la vidéo. Tournée au Thiossane Night, haut lieu des nuits festives dakaroises et boîte où Youssou Ndour officiait, le clip frappa les esprits. Une Viviane Chidid au centre d’un ring de boxe faisait face à un Mbaye Dièye Faye vêtu de noir lui aussi. Ce clip minimaliste la porta aux nues et la chanson fut un tube, qui, encore aujourd’hui, est fredonné.

La plupart des chansons de Viviane Chidid, pour ne pas dire la plupart, tournaient autour du registre amoureux, sexuel. En des termes assez explicites, elle donnait des astuces sur comment s’occuper des hommes, le garder dans son giron avec de la bonne chère (dans tous les sens du terme, cela va sans dire …)

Les hommes étaient tous (ou presque) amoureux d’elle, tandis que les femmes épiaient chacune de ses sorties, surtout vestimentaires, car elle créait des tendances. Son album Esprit 1 (Viviane & Frères), fut celui que j’ai le plus aimé et que j’écoute toujours en boucle. Constitué d’un ensemble de duos avec des hip-hopeurs, l’album domina les charts durant longtemps. Et ce qui séduit chez Viviane Chidid et continue de séduire, c’est sa versatilité musicale, due à son ancienne carrière de chanteuse de variétés. Elle s’adapte à tous les styles, et c’est ce qui fait sa force.

WhatsApp Image 2020-03-18 at 01.55.12jpAu fil du temps, j’ai un peu décroché de la musique de Viviane Chidid. Son divorce avec Bouba Ndour a en quelque sorte été le début d’une période d’errances musicales, tant au niveau de ses sorties d’albums, que de ses choix de producteurs. J’écoutais toujours avec une pointe de nostalgie ses anciennes chansons, en regrettant qu’elle ne soit plus à ce niveau.

Elle continuait toujours à sortir ponctuellement (surtout !) des singles, mais son compagnonnage avec la famille Ndour (tant amoureusement qu’artistiquement), l’aura façonnée et le divorce lui aura porté préjudice à plus d’un titre.

Il est vrai que pour une femme, mêler vie privée et vie professionnelle est toujours très risqué, car en cas de séparation, c’est elle qui y perd le plus. C’est pourquoi lorsque j’ai vu qu’elle avait sorti un nouvel album – Benen Level – je décidai de ne pas l’écouter, craignant d’être déçue. Mais l’insistance d’un ami – du reste très fan de Viviane Chidid – finit par payer, car à la première écoute, je me rendis compte était vraiment d’un autre niveau …

TRACKLIST (PAS DANS L’ORDRE)
Benen Level : morceau egotrip sous fond de dancehall, ce morceau éponyme de l’album est de loin mon préféré. Viviane Chidid réaffirme son statut de reine du mbalax et exhorte les fans et curieux.ses à aller sur Google voir qui elle est, avant d’oser émettre une comparaison

Rëcc Na : parfois, l’on croit que la vie s’arrête lorsque nous pensons avoir acquis toutes les possessions matérielles dont on rêvait. Ce qui fait que nous devenons dédaigneux.se. Alors, que la roue (de la vie) tourne

Yenn Saï : excellent duo avec le roi de la rumba congolaise, Mr Fally Ipupa. Dans un savoureux mélange de lingala et de ouolof, chacun des chanteurs adresse une déclaration d’amour à l’élu.e de son cœur. Viviane excelle encore une fois dans ce domaine qui est le sien, celui de l’amour

Djoug Liguey : quand on est jeune, on pense avoir toute la vie devant soi et on néglige certaines choses, dont le travail et l’accomplissement personnel. Cette chanson est un hymne à la jeunesse. J’ai aimé le message de conscientisation

Téré Dundou : autre pépite … J’aime les bonnes vibes qui se dégagent de cette chanson. Il suffit de l’écouter pour avoir du tonus. Quand on a longtemps été sous la coupe de quelqu’un.e, à un moment donné, il faut s’affranchir, et c’est le message délivré par Viviane Chidid

Nangoulema : autre chanson d’amour, très originale. Viviane Chidid exhorte son amoureux à accepter qu’il est fou d’elle, qu’elle est l’élue de son cœur, au lieu de feindre le désintérêt

Déranger : autre chanson classée de l’album. J’avoue que niveau vidéos, il y a beaucoup d’innovations. Les haineux, ou encore les haters (connus ou imaginaires), sont tapis dans l’ombre. Et il ne faut pas leur donner l’occasion de rire de nous

Do Dara : un clip aussi pour cette chanson dans laquelle Viviane lance des piques aux hommes qui vivent au-dessus de leurs moyens, faisant miroiter aux femmes monts et merveilles. Alors qu’ils ont les poches trouées

Sénégal : hymne à l’Afrique, où la chanteuse lance un message d’unité africaine, en commençant par son pays, le Sénégal

WhatsApp Image 2020-03-18 at 01.55.12En somme, si je devais donner une note à l’album Benen Level, je lui attribuerais celle de 10/10. Textes, sons, harmonies, voix, tout a été étudié et travaillé. Je me réconcilie avec Viviane Chidid. Ecoutez-le, vous m’en direz des nouvelles …

Bonne lecture,

NFK

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Lu et approuvé : Le Triangle et l’Hexagone – Maboula Soumahoro

maboulaDès lors qu’elle nous avait lu quelques (superbes) extraits de son livre à paraître durant la Journée d’Etudes consacrée aux Black Studies que nous avions organisée à l’EHESS, je n’ai eu de cesse d’attendre la parution dudit livre avec impatience.

Elle, c’est Maboula Soumahoro, Maîtresse de Conférences à l’Université de Tours, spécialiste en langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes, chercheuse en french diaspora studies. Considérée comme l’une des principales voix sur la question de l’identité noire en France, aux côtés de chercheurs tels que Pap Ndiaye, auteur de La Condition noire (La Condition noire, Essai sur une minorité française, Collection Folio Actuel, Ed. Gallimard, Paris, 2009), il nous avait semblé, mes camarades co-organisatrices de la Journée d’Etudes et moi-même, plus que légitime de lui demander de faire partie du comité scientifique. Grande fut notre joie lorsqu’elle nous fit l’honneur d’accepter, et de nous lire en prime des extraits de son ouvrage.

Le livre, sobrement intitulé Le Triangle et l’Hexagone, est découpé en cinq principales parties :
• L’introduction. Parole noire/Noire parole
• Le triangle
• Le parcours universitaire
• L’Hexagone
• Conclusion. Noires sont les orbes, ou ce que la beauté doit au chaos

« Il est important de poser un cadre, de délimiter. Car on veut savoir de quoi l’on parle ». (p.12)

unnamedMaboula commence par poser le cadre diasporique, partant de l’Afrique, berceau de l’humanité, suivant les trajectoires de ses populations, qui à la faveur de la traite transatlantique, ont migré soit vers l’Europe, soit vers les Amériques, façonnant corps et esprits, mais aussi influant à tout jamais sur quantité de générations africaines à venir.

Dans la recherche scientifique, la première personne du singulier, le « Je » donc, est proscrit et doit s’effacer au profit du « Nous », plus englobant, et ce « Nous » est censé représenter l’objectivité et la distance dont le chercheur doit faire preuve en analysant son objet d’études. Maboula prend délibérément le contrepied de cette règle, en utilisant le « Je », se mettant à nu, contant son histoire.

A la faveur des flux migratoires qui ont été le fait de milliers (voire plus) de familles africaines, sa famille vient s’installer en France, en provenance de la Côte-d’Ivoire, en quête d’une vie meilleure ; gardant dans un coin de l’esprit le retour au pays. Mais plus les années passent, plus le retour semble lointain, hypothétique. Les enfants issus de ces familles, tout en conservant des pans de cet ailleurs tant conté et chanté, se considèrent chez eux en Hexagone. C’est le cas de Maboula, car la France l’a vue naître. Elle est donc Française, c’est un fait …Les deux parties du triangle que sont l’Afrique et l’Hexagone se connectent pour former un tout, mais il manque cependant une partie.

« Il me faut cependant admettre que mon intérêt a pris de l’ampleur lorsque j’ai entamé ma propre navigation à travers le Triangle Atlantique en me rendant aux Etats-Unis ». (p. 60)

A la faveur de champ de recherches qui s’élargissait, Maboula effectue un premier séjour en Amérique. Là-bas, le choc culturel est moindre face aux infinies possibilités intellectuelles qui s’offrent. Dès l’instant où, quand elle se présente, elle se dit « Française », aucune question ne fuse. C’est donc dans l’ordre normal des choses. Et aux USA, elle prend conscience de sa condition de Noire, décide de l’assumer pleinement. Et Edouard Glissant et Maryse Condé, grands écrivains qui sont professeurs au sein de l’Université américaine, participent à construire cette conscience intellectuelle qui prend de l’ampleur.

Une dualité commence à se former entre la France et les USA, deux espaces géographiques où la question raciale est traitée différemment. Forte de cette expérience, Maboula commence à se forger, posant un autre regard sur elle-même, mais aussi le monde qui l’entoure. Concepts, théories, auteurs-clés ayant produit des écrits sur le nationalisme noir, tout ceci contribue à un changement de paradigme.

unnamed1La question du retour commence à se profiler, et surtout avec l’actualité socio-politique ayant trait en France, elle devient urgente. L’année 2005 est une année charnière en France, car elle est considérée comme l’année durant laquelle les révoltes dans les banlieues débutent. C’est l’année pendant laquelle Zyed et Bouna, deux jeunes issus de la commune de Clichy-Sous-Bois, trouvent la mort suite à des violences policières.

« En 2005, il n’était plus possible pour moi d’éluder la question de ma propre expérience française ». (p.113)

A partir de ce moment, Maboula commence à prendre des positions, et surtout à construire son personnage médiatique. Le détour par les USA lui a permis de reconsidérer et revaloriser sa condition de femme Noire et musulmane, mais ce séjour américain ne devait plus lui servir de paravent pour ne pas voir ce qui se passait en France.

« En cela, il est temps de sortir de l’Hexagone, d’envisager le Triangle. Et le reste du monde ». (p.138)

J’ai dévoré le livre en trois jours, tellement j’ai été happée par l’écriture fluide, rigoureuse, et fourmillant de références de Maboula Soumahoro. L’hybridité du livre joue aussi pour beaucoup sur le fait qu’on le lit d’une traite. Mi-essai, mi-autobiographie, l’on est tantôt admiratif face à la rigueur scientifique de l’autrice, tantôt ému.e face au parcours jalonné d’embûches, où rien (encore aujourd’hui) ne lui est donné.

Et c’est en cela que Le Triangle et l’Hexagone est à lire et faire lire, car il créera à coup sûr des émules.

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Les Misérables, un film de Ladj Ly : de la poésie à l’état brut

« Mes amis, retenez bien ceci : il n’y a pas de mauvaises herbes, ni de mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs ».

Victor Hugo, les Misérables

C’est sur ces vers de Victor Hugo que se termine le film-éponyme de Ladj Ly, les Misérables. Au sortir de la séance d’1h47mn, je comprends pourquoi ce film a été autant encensé. En général, je me méfie des œuvres (cinématographiques, ou encore littéraires), qui bénéficient d’avis dithyrambiques. Mais sur un sujet aussi sensible que les banlieues, je me doutais bien que Ladj Ly effectuerait un superbe travail. La preuve, depuis sa sortie en Novembre 2019, le film frôle le million d’entrées au box-office.

Nous sommes à Montfermeil, une commune d’Île de France, située dans le département de la Seine-Saint-Denis. Une commune voisine de Clichy-Sous-Bois, ville qui reste dans la mémoire collective (française) comme étant le catalyseur des émeutes des banlieues de 2005, avec la mort par électrocution de Zyad et Bouna, deux jeunes issus de cette ville. Période durant laquelle Nicolas Sarkozy aura sa bien triste formule : « exterminer la racaille au karcher ». La suite, on la connaît …

Et saviez-vous que Victor Hugo a écrit les Misérables à Montfermeil ? Donc, côté symbolique, Ladj Ly a fait le tour. La BAC fait la loi, interpelle, encaisse les pots de vin en guise de protection des malfrats, et ferme ainsi les yeux sur les malversations qui peuvent occurrir.

Gwada et Stéphane sont les deux officiers en charge du secteur, patrouillant au jour le jour, et avec l’aide de Monsieur le Maire – caïd faisant la loi – tous les coins de la cité sont balisés. La team se voit secouée avec l’arrivée de Stéphane, la nouvelle recrue, qui ne partage pas trop leurs méthodes brutales et expéditives.

Le film saisit l’occasion d’un fait divers survenu à Montfermeil en 2005 : un lionceau a disparu d’un cirque éphémère installé dans la ville et c’est le fait des gamins du coin. Dans l’optique de le retrouver, car ne voulant pas que les Roms à l’origine du cirque et les groupes de jeunes s’affrontent, les officiers de la BAC se mettent à sa recherche. Cette recherche dégénère, car le petit soupçonné d’avoir subtilisé le lionceau, prend un coup de taser dans l’œil. Incarné par le brillant Issa Perica, le personnage d’Issa est tout en finesse, défiance de l’autorité et est déjà un meneur à son jeune âge. La brutalité dont il fait l’objet est filmé avec le drône de Al Hassan Ly, qui joue le personnage de Buzz.

Dans l’optique de retrouver la carte du drône qui a filmé la scène et la détruire, effaçant ainsi toute preuve de brutalité de la BAC, Chris et Gwada se mettent à la recherche du petit Buzz, qui a trouvé refuge chez Salah, incarné par Almamy Mam Kanouté. Il crève l’écran, tant il en impose autant physiquement que spirituellement, ancien malfrat reconverti, autorité morale chez qui les jeunes peuvent toujours trouver refuge. Ses dialogues, agrémentés de paraboles, m’ont ravie, car autour du chaos ambiant qu’est la cité, il est un havre de paix.

J’ai lu parmi la pléthore de critiques parues dans la presse, que Ladj Ly a fait un film « nécessaire ». Je n’aurais pu dire mieux, car entre le centre de la société qui leur fait comprendre qu’ils doivent rester à la marge, « les misérables » qui peuplent les banlieues cherchent un sens à leur existence. Sens qu’ils pensent trouver dans les stupéfiants, dans les bandes, dans la religion … Car avec des parents débordés et occupés à trouver de quoi subsister, les enfants sont laissés à eux-mêmes. Les filles comme les garçons sont d’une sensibilité extrême, et cette sensibilité laissera la place à quantité de dérives.

Le silence qui s’est abattu sur la salle de cinéma après le film est révélateur de beaucoup de choses. Entre les racisés qui n’ont pas manqué de pleurer face à certaines scènes et les blancs qui rougissaient quand les policiers brutalisaient les jeunes, il y avait de quoi refaire un autre film. Tout est une question de perspective, après tout.

Mais s’il y a bien une chose que je reprocherais au film, ce serait la trop peu présence féminine à l’écran. Une scène nous montre des femmes, regroupées dans une chambre à faire une tontine.

Est-ce à dire que lorsque l’on traite de choses importantes, les femmes sont au second plan ? Hum … Le film Banlieusards. de KERY JAMES avait essuyé la même critique. Sous fond de mysoginie, la fracture genrée apparaît nettement, et les hommes continuent de prendre le lead.

Bonne lecture,

NFK

Publié dans Réflexion

Feminist Futures Festival

Fem festDu 12 au 15 Septembre, sur invitation de la Rosa Luxemburg Stiftung, j’ai assisté au Feminist Futures Festival, un festival féministe qui a eu lieu à Essen, à quelques encablures de Düsseldorf.  Ce rendez – vous féministe a non seulement été l’occasion de faire converger vers le lieu du festival des centaines de féministes de plusieurs villes d’Allemagne telles que Cologne, Hamburg, Berlin, et tant d’autres, mais d’autres pays comme la Chine, l’Inde, le Chili, l’Uruguay, le Brésil, les USA … Pour l’Afrique, nous y étions pour le compte de la Tanzanie, du Soudan, du Nigéria et du Sénégal. Bien que je soie venue de Paris, j’y étais pour le compte du Sénégal. J’ai trouvé cette participation africaine assez faible, eu égard aux autres nationalités présentes, mais j’y reviendrai.

Fidèle aux valeurs de la Rosa Luxemburg Stiftung, qui sont l’anti-capitalisme, la solidarité, l’inclusion sociale, valeurs prônées par la gauche au sens large politiquement parlant, ce festival a été l’occasion durant quatre jours de discuter, confronter nos différentes perspectives féministes et surtout de voir ce que ce terme signifie suivant le lieu d’où l’on vient.

L’un des points positifs du festival, c’est le fait qu’il se soit déroulé en non-mixité. Entendons-nous bien, je ne veux pas dire par là que le féminisme est une affaire exclusivement féminine, mais il est bon parfois de se retrouver pour débattre de sujets nous concernant sans aucune interférence extérieure; et surtout certaines personnes peuvent se sentir plus à l’aise dans un environnement de ce type, plus « safe ».

Depuis bientôt trois ans que Vous avez dit féministe? a été publié, j’essaie de porter la parole féministe à mon modeste niveau et à cet effet, j’ai été invitée à plusieurs talks, conférences et festivals, où j’ai eu l’occasion d’affûter ma pensée féministe et me familiariser à de nouveaux concepts. Cela en addition avec les études que j’ai reprises, font que j’ai une nouvelle hauteur de vue. Enfin, je l’espère 😉

Il y avait tellement de workshops que je n’ai pas pu assister à tous devant cette offre d’ateliers très alléchante. Devant moi-même faire partie de deux panels, comprenez que le temps m’était compté. Nous étions logé.e.s dans un charmant hôtel à Essen, à une vingtaine de minutes de Düsseldorf. Et le festival avait lieu, quant à lui, à quelques stations de tramway de là, dans une ancienne usine de tabac restaurée, en pleine nature pour notre plus grand bonheur.

Autour d’une pluralité de thématiques telles que les menstruations, la politique du « care », le féminisme musulman, écologique, anti-raciste, les violences anti-féministes, l’intersectionnalité, la solidarité féministe transnationale, l’avortement, les droits des personnes LGBTQ+, nous avions de quoi faire et avons pu réfléchir ensemble sur ce qui peut nous diviser et/ou nous rassembler. Même si certaines thématiques ne me concernaient pas directement et sont assez éloignées il faut le dire de ma double perspective africaine et sénégalaise, je me suis enrichie au contact de ces féministes en proie à leurs combats et cherchant à se faire entendre.

J’ai participé à un atelier et à un panel. L’atelier avait pour intitulé Feminist encounters, Diverse commonalities; et le panel What does a feminist international look like? 

L’atelier, sous forme de groupe de réflexion, portait sur notre conception du féminisme, sur ce que ce terme veut dire pour nous, en fonction de notre pays. Notre présentation de quelques minutes chacun.e, nous permit d’en apprendre sur nos luttes féministes respectives. Nous nous sommes appesanti.e.s aussi sur la manière d’arriver à construire une utopie de genre et les obstacles inhérents à cette utopie. Je fus particulièrement émue d’écouter la présentation de Neon Cunha, activiste transsexuelle vivant à Sao Paulo, surtout dans ce Brésil d’aujourd’hui transphobe, raciste, sexiste, dirigé par Jair Bolsonaro. Toutes ces oppressions s’imbriquent pour fragiliser et marginaliser les personnes à la peau noire au Brésil. Pour ma part, j’ai parlé du féminisme sénégalais et fait l’état des lieux (très peu reluisant avouons-le) de ce qu’il en est aujourd’hui.

Le deuxième, sous forme de panel, fut le clou du festival. Durant plus d’une heure, nous fûmes cinq activistes et chercheuses féministes du Sénégal, de l’Inde, d’Uruguay, d’Allemagne et de Turquie, à parler de genre, d’inclusion, et de comment nous pouvions arriver à construire une solidarité féministe. Ce panel, en plus de clôre le festival, enregistra la présence massive de festivaliers, ce qui eut pour effet un échange nourri et très intéressant avec le public. En terme de solidarité transnationale, j’ai d’abord insisté sur la pluralité des féminismes en Afrique, et du fait que selon le pays, la perspective serait autre, et qu’il ne fallait surtout pas restreindre les féminismes en Afrique sous un vocable unique. Car du point de vue extérieur, on a tendance à parler du féminisme en Afrique comme un. Ce qui est loin d’être le cas …

Prônant aussi une totale inclusion j’ai été un peu mitigée concernant la notion de solidarité. Car avant que cette solidarité ne puisse être effective, il faudrait d’abord que l’on s’intéresse aux féminismes africains. Et surtout, veiller à jeter un œil à ce qui se passe là-bas et les/nous inclure beaucoup plus dans les débats. Ces jours de débats furent très enrichissants. Je suis non seulement repartie la tête fourmillant d’idées à mettre en place dans mes recherches futures, mais j’ai aussi noué des contacts précieux, qui me seront utiles pour la suite.

Des brochures et articles sont à paraître sous peu, je vous tiendrai au courant quant à ces parutions si vous souhaitez en savoir plus. Cet article ne sera donc qu’une mise en bouche ^^

Excellente lecture,

NFK

Publié dans Au Sénégal

Car c’est bien plus qu’un jeu …

240748F2-A84E-4A7D-9F7F-EE7728149731NB : ce texte fait écho à la récente accession des Lions du football Sénégalais en finale de la Coupe d’Afrique des Nations 2019. Je ne l’ai nullement écrit pour attirer la sympathie, la pitié, ou encore la commisération. Merci de le lire comme un hymne à la vie, en hommage à un homme qui a tout donné au football, sa passion première. J’ai eu beaucoup de mal à écrire ces mots, car longtemps j’ai nié l’idée que mon père était malade, maquillant la réalité auprès de tous ceux qui demandaient de ses nouvelles, mais après une année et demie, j’ai accepté et me suis faite à l’idée qu’il vit désormais avec cet état. Mais louanges à Dieu pour l’avoir conservé. La mémoire est certes altérée, mais l’élégance, le port altier, la malice demeurent, et ça, ça n’a pas de prix.

Mon père a fait un infarctus durant l’été 2016.

Même s’il a été opéré quelques mois plus tard, c’est de là et de son séjour chaotique à la Mecque, que je situe les premiers signes de sa maladie. J’étais au Sénégal depuis quelques temps, et ma mère et moi commencions à remarquer une altération dans son comportement : perte de repères, difficulté dans l’élocution, perte de la mémoire, difficulté à se remémorer les noms et prénoms de sa proche famille …

Son départ en pèlerinage à la Mecque a accéléré les choses, si je puis m’exprimer ainsi. Nous nous sommes conformées à l’avis des médecins, mais les conditions climatiques extrêmes à la Mecque ont fait qu’il n’a pas tenu. A son retour, il s’est fait opérer et les médecins nous ont rassurées en nous disant que les seules séquelles observables seraient la perte de mémoire. L’élocution étant revenue, nous n’avions donc aucun souci à nous faire. Mais force est de reconnaître que nous n’étions pas préparées aux changements qui allaient s’opérer.

Tous ceux qui connaissent mon père, personnellement ou à travers moi, savent que l’émulation intellectuelle a toujours fait partie de sa vie. Toujours un carnet de notes ou un livre sous le bras, il lui arrivait de se couper du monde et de s’isoler pour griffonner quelques idées ou lire quelques passages d’un livre, le plus souvent portant sur le football, s’il n’était pas en train de harceler ses collaborateurs qu’ils trouvaient trop « lents » quant à l’avancement d’un projet sur lequel ils étaient en train de travailler. Vous comprendrez donc d’où je tiens mon impatience notoire et mon hyperactivité. Mais on eût dit que son esprit avait quitté son corps dorénavant, car maintenant, il peut demeurer coi des heures durant, à fixer la télé sans la voir, ou à être absorbé par ses pensées. Comme si après plus de cinquante années de carrière – car il a commencé à être en activité à 25 ans – il était temps de s’accorder une retraite bien méritée. Il préférait l’expression « être en retrait » plutôt que « prendre sa retraite », car je le cite « l’esprit ne cesse jamais de fonctionner » …

MTK3.pngDurant ces instants d’absence, je tente de le faire réagir, et durant quelques heures, nous retrouvons cette complicité intellectuelle qui nous liait. Je rends grâce à Dieu tous les jours qu’il soit là, avec nous, à nous observer de son regard qui n’a rien perdu de sa pétillance, riant aux éclats avec nous, parfois sans savoir de quoi l’on parle, comme pour nous montrer qu’il est là, à nos côtés, ou encore me demandant via Whatsapp de rentrer à la maison. Et je promets de revenir bientôt. Je me sens parfois assez mal qu’il ait perdu sa réactivité et son bagout d’avant, mais je me raisonne en me disant
qu’il conserve le souffle vital si précieux, et que d’autres souffrant de la même pathologie sont bien plus amochés.

Je me moquais souvent de lui en lui demandant comment il avait réussi à mener toutes ces carrières de front avec « seulement » un diplôme de Technicien Supérieur des Transports, diplôme qui orne encore les murs de notre maison. Interrogation à laquelle il rétorquait qu’il me battait à plates coutures, et ce dans tous les domaines, moi et mes multiples masters, croyant détenir la science infuse. Et c’était vrai !

Vous pouvez penser que je m’exprime ainsi avec autant de subjectivité car je parle de mon père, mais que nenni ! Du Port Autonome de Dakar où il a débuté sa carrière et où il a laissé une empreinte ad vitam aeternam, notamment via l’Union Culturelle et Sportive du Port, à Dakar Dem Dikk, l’entreprise de transport en commun nationale, au Ministère des Transports (qui change à chaque fois d’appellation, mais s’appelait au temps Ministère des Transports et des Infrastructures), sans oublier les différents organismes avec qui il a collaboré et effectué des missions de consultance, que ce soit dans le domaine du transport, de la logistique, du sport, ou encore des infrastructures terrestres et maritimes.

La « Rigueur », comme ses amis l’appelaient, est un homme passionné, aussi violent dans l’exercice de cette passion, que sensible lorsque celle – ci lui rend l’engagement et l’investissement dont il a fait preuve. Dans le roman La bicyclette bleue de Régine Deforges, un passage me rappelait cette dualité qui fait la force de la personne de mon père. Je ne m’en rappelle pas textuellement, mais la romancière faisait état de violence et de sensibilité, ce qui à mes yeux résume parfaitement mon père.

Alors que le Sénégal s’apprête à vivre la 2e finale de Coupe d’Afrique des Nations de son existence, j’ai eu envie d’écrire cet article, car je sais que s’il avait vécu la Coupe d’Afrique et ses matchs comme nous la vivons actuellement, il aurait pris sa plume pour coucher sur le papier les émotions l’envahissant. Raison pour laquelle je me suis dit que je lui devais cet article, car le football, c’est la passion de sa vie.

MTK2Je me rappelle encore comment, en regardant un match, il oscillait de droite à gauche, hurlant contre les joueurs, l’arbitre ou encore le sélectionneur. Que ce soit à la télé ou encore au stade, il ne se gênait pas pour se lever et hurler sa joie ou son mécontentement, oubliant tout ce qui l’environnait. Les joueurs du Port ont souvent fait les frais de ses humeurs, car il leur signifiait toujours ce qu’il pensait de leur jeu et ses entrées fracassantes dans les vestiaires étaient redoutées.

Que ce soit pour l’équipe du Port ou l’équipe nationale, son amour du football était viscéral, incommensurable, n’avait aucune limite. Ses amis le taquinaient souvent en lui disant « Tidiane, tout ceci n’est qu’un jeu ! » il leur prouvait avec force arguments que c’était bien plus qu’un jeu ! Et lorsque Pape Diouf, ancien Président de l’Olympique de Marseille et un ami à lui, a publié en 2013 son livre sobrement intitulé C’est bien plus qu’un jeu, il l’a brandi sous le nez de tous ceux qui avaient du mal à comprendre sa passion pour le football.

Depuis Caire 1986 – et même bien avant, mais Caire 1986 demeure mon repère, car c’est l’année de ma naissance – il n’a eu de cesse de prier pour que le Sénégal gagne cette Coupe d’Afrique. Peut – être que 2019 sera la bonne, qui sait ?

D’après ce qu’il m’en a dit, son histoire avec le football a débuté durant ses années estudiantines, alors qu’il était goal. Se sachant plus utile du côté des décideurs que sur la pelouse, il est l’un des membres fondateurs de l’équipe de football du Port Autonome de Dakar, club qui a remporté la Coupe du Sénégal en 2000 après une finale perdue en 1990, mais aussi remporté le Championnat du Sénégal en 1990, 1991 et 2005.

Ce championnat remporté en 2005, je m’en rappelle particulièrement, car bien qu’il ait passé la main au niveau de la Présidence de l’équipe du Port, il en demeurait toujours le Président honoraire. Ce qui fait que lorsque le Port a gagné le Championnat du Sénégal en 2005, les joueurs et tout le staff ont tenu à lui amener le trophée à la maison, en sa qualité de Président d’Honneur. La lueur de joie qui n’a cessé de danser dans son regard lors de cette magnifique après – midi, je ne l’oublierai jamais.

Ayant fondé le Club du Port, il n’a eu de cesse de sillonner tout le Sénégal lors de leurs rencontres, bravant intempéries, pratiques mystiques, ire de ses proches, qui lui reprochaient de s’investir autant dans ce sport. Chez nous, c’était toujours un défilé de tout ce que le football comptait de décideurs et mon âme d’enfant s’émerveillait de voir tous ces messieurs cravatés que j’apercevais à la télé, venir recueillir les lumières de mon père. Sans oublier ceux, amis proches comme collaborateurs, qui venaient dormir à la maison pour l’accompagner dans le Sénégal profond en vue d’un match. Car lorsque le Port jouait en extérieur, la tension était palpable …

En plus de cela, je ne peux compter le nombre de fois où le Sénégal disputant des joutes importantes, on l’invitait à des émissions télévisées ou radiophoniques. Telle une sangsue, je le collais et voulais venir avec lui, et observais émerveillée, toute cette effervescence en coulisses.

MTK1En plus de ses fonctions au sein de l’UCST – PAD, mon père en a occupé au sein de la Fédération Sénégalaise de Football, où il a occupé la fonction de Vice – Président jusqu’en 2008, avant de siéger au Comité Directeur, d’où il fut débouté car dénonçant l’embastillement et l’autoritarisme dont on faisait preuve au sein de la Fédération. Je me rappelle de ces moments qui furent très durs, car dans une institution où beaucoup ne prennent pas la parole de peur de perdre des avantages, protester peut s’avérer suicidaire. Mais il tint bon, car aujourd’hui encore, quand je m’entretiens avec certains de ses anciens collaborateurs et connaissances, tous me relatent avec force détails des anecdotes, durant ces réunions épiques où il n’hésitait pas à claquer la porte, chaque fois que l’intérêt général était bafoué.

Et c’est ça aujourd’hui plus que jamais, qui me rend fière d’avoir comme père cet homme qui demeurera à jamais dans l’histoire du football sénégalais. Un homme qui a légué à la postérité un club de football faisant partie du top 10 des clubs sénégalais, un homme qui a été l’un des rédacteurs du Document faisant état de la réforme des clubs de football locaux, un homme qui a siégé dans de prestigieuses institutions footballistiques telles que la FIFA, ou encore la CAF.

Toutes ces raisons font que quelque part au fond de moi, je vibre pour ce sport, en pensant à toutes ces après – midi où il nous mettait dans sa voiture mes amies et mon frère pour aller assister à des matchs de football au Stade Léopold Sédar Senghor, de même que les regroupements des joueurs du Port, avant de disputer un match. Et tout cela par amour du beau jeu !

Alors MTK, je sais que tu me liras, conserve ce texte, rature – le, mais au fond des brumes de ta mémoire, je suis intimement convaincue que tu te remémores les années « de braise ».

MTK5Sois sûr que celles – ci n’ont pas été vaines !

Bonne lecture,

NFK

 

Publié dans Music

Une histoire de générations

Omar PèneComme toujours lorsque j’écris sur Omar Pène, j’aime me remémorer l’une de nos premières rencontres, rencontre qui est marquée à l’encre indélébile dans la brume de mes souvenirs d’enfance. Je devais avoir 6 ans, nous étions en 1992. Le Plateau, quartier où je suis née et ai grandi, était (et l’est toujours, à une échelle moindre), le quartier d’affaires du tout – Dakar. Il abritait aussi l’un des seuls studios d’enregistrement de la capitale, studio qui a abrité plus tard les locaux de la première télévision privée du Sénégal, à savoir la 2STV. Le Studio 2000, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était le lieu de convergence de tous les pontes de la musique sénégalaise. Et à quelques encablures du Studio 2000, à l’Immeuble Fahd, était sise la radio Sud – FM. Ce qui faisait de ce coin de Dakar un lieu ultra fréquenté et très foisonnant artistiquement.

L’un de mes grands frères était fan de Omar Pène, à telle enseigne qu’il cultivait la ressemblance physique avec lui. Et à chaque fois qu’Ablaye Ndiaye (l’un des multiples surnoms de Omar Pène) était dans les parages, il allait à sa rencontre, en compagnie de ses amis, aussi mélomanes que lui. Un jour, il décida de m’y emmener, en raison paraît – il de mon insistance à aller avec les grandes personnes. Mon cerveau enregistra tous les menus détails : la BMW rouge aux vitres fumées, la veste en cuir, la boucle d’oreille scintillante à son oreille, cet air affable et paternel, le temps passé à serrer les innombrables mains tendues, et ce rire, ce rire … Un rire franc, lumineux, qui touche l’âme.

Le reste, c’est de l’Histoire.

Cet homme et sa musique m’ont accompagnée durant toutes les étapes de ma vie, les bons comme les mauvais, les joyeux comme les tristes. J’ai grandi avec cette voix à nulle autre pareille dans les oreilles, qui me faisait danser, mais aussi méditer, réfléchir sur l’absurdité et la dureté de cette vie ici – bas.

Mes amis se moquent souvent de moi en arguant du fait que Omar Pène n’articule pas quand il chante, et de ce fait ils ont du mal à comprendre ce qu’il dit. Ils se contentent donc d’écouter la mélodie. Je leur rétorque que Omar Pène, c’est non seulement une belle voix, mais des paroles pleines de sens, qu’il faut prendre le temps d’écouter, de comprendre … Car qui va comptabiliser 40 ans de carrière, si ce n’est quelqu’un qui fait de la musique de qualité ?

J’avais déjà parlé de l’album commémorant ses 40 ans de carrière, dénommé Ada, en hommage à Adama Faye, compagnon de la 1ère heure par ici : https://cequejaidanslatete.wordpress.com/2013/05/28/diamono/ Et depuis la sortie de cet album, des trombes d’eau ont coulé sous les ponts. La maladie, son séjour en France où je l’ai encore une fois rencontré, amaigri mais tenace. Je pensais que le firmament avait été atteint avec cet album marquant quatre décennies de carrière, mais Ablaye Ndiaye a semble – t – il plus d’un tour dans les cordes vocales. Beaucoup de choses ont été dites, beaucoup de (fausses) rumeurs propagées, notamment sur son état de santé déclinant et surtout sur le départ et l’arrivée de musiciens, donnant le Super Diamono pour mort. Malgré cette mise à mort tant de fois annoncée, il est toujours là, à renaître de ses cendres. De plus, je demeure convaincue que s’il ne restait qu’un micro et un homme derrière ce micro, cet homme aurait la faculté de faire pénétrer dans nos cœurs des notes mélodieuses.

Car comme le titre de cet article le dit, le Super Diamono, c’est une histoire de générations … Celle de mes parents, de mes frères, la mienne, celle qui viendra après moi … Chaque génération s’approprie les chansons et les fait siennes, tout en étant sûre qu’il en restera pour la suivante. Et quel que soit dans la sphère musicale sénégalaise le style de musique, tous s’accordent sur un fait : ils se reconnaissent dans la musique de Omar Pène et du Super Diamono ; à l’image du nouvel album live qui vient de sortir et qui est le prétexte de cet article.

La nouvelle équipe de musiciens qui accompagne Omar Pène est, il faut le reconnaître, très talentueuse. Sans entrer dans le débat visant à établir une comparaison avec la liste exhaustive de musiciens ayant fait les beaux jours du Super Diamono, qui du reste ont écrit les annales de la musique sénégalaise, la #4G, pour 4e génération, est talentueuse. Et l’on voit que Omar Pène s’éclate en leur compagnie. J’ai pu le constater lors de toutes les soirées que j’ai pu visionner, que ce soit celles au Grand – Théâtre, ou le traditionnel bal des fans du Super Diamono qui a lieu tous les ans le 24 Décembre.

Le nouvel album live qu’il vient de sortir est en quelque sorte un hommage à cette 4e génération de musiciens. Sobrement intitulé 4G, l’album est composé de 8 titres et est un condensé live de quelques titres classiques. Comme si c’était un défi relevé aux petits jeunes, leur disant « montrez de quoi vous êtes capables » ! Pour ma part, j’aurai bien voulu une vingtaine de titres, mais comme je suis une addict, je n’en aurai jamais assez !
Huit titres triés sur le volet composent l’album 4G.

Afsud : quiconque connaît Omar Pène connaît la magnifique relation qui le lie à ses fans. L’Amicale des Fans du Super Diamono – AFSUD en est une superbe illustration, regroupant et fédérant les fans du groupe de par le monde. En plus du traditionnel bal des fans de chaque année, l’AFSUD organise diverses activités et est très structurée. Son Président actuel, Mame Thierno Fall est très actif dans la promotion des activités et événements de Omar Pène dans le domaine digital, et c’est à saluer. Omar Pène lui rend d’ailleurs un hommage appuyé dans cette nouvelle version et c’est un régal.

Jaraaf : s’il n’avait pas été chanteur, Omar Pène aurait été footballeur. C’est d’ailleurs une blessure, marquant l’arrêt définitif de sa carrière de footeux, qui l’a orienté vers la musique, grâce à l’entregent de celui qu’il considère comme son mentor, à savoir Baïla Diagne. Raison pour laquelle sa discographie est parsemée de titres phare dédiés au football, que ce soit à l’équipe nationale, ou aux clubs du championnat sénégalais. Parmi ces clubs, je peux citer la Jeanne D’Arc de Dakar, « la vieille dame », plus vieux club du Sénégal. J’ai beaucoup aimé la nouvelle version de Jaraaf, et surtout le clin d’œil à Cheikh Seck, ancien joueur international sénégalais, et actuel Président du club.

Diallo Djéry, Bass, Nitt : l’amitié est une valeur insondable dans la vie de Omar Pène. Il n’arrête pas de le répéter à longueur d’entretiens. Tous ceux qui ont eu l’honneur d’être chantés par Omar Pène, sont des amis des longue date, avec qui il a eu à vivre des moments précieux et il leur rend hommage avec sa voix.

Dila beug, Jelinala : je suis profondément convaincue que Omar Pène est un amoureux dans l’âme. Que ce soit les titres dédiés à sa moitié, Bana, ou les autres traitant de l’amour, il les interprète avec une telle sensibilité que l’on est transporté d’émotion. Et s’il se trouve qu’on est amoureux, c’est encore mieux ! Et si c’est remixé avec en prime de superbes lignes de basse, que demander de plus ?

Saï Saï : alors qu’aujourd’hui l’on parle beaucoup de violences sexuelles et de leur résurgence dans notre pays, Omar Pène fut un précurseur avec Saï Saï, mettant en garde les jeunes filles contre ces dérives. Un de mes préférés …

Au terme de cet article plus long que la moyenne, car le sujet s’y prêtait, j’espère que vous achèterez le nouvel album, que vous prendrez le temps d’écouter, et que surtout vous serez saisi d’émotion face au talent de cet homme qui année après année, décennie après décennie, étend les tentacules de son immense talent. Le temps passe, Omar Pène demeure. Et j’aurai une dernière requête si tu me lis Baye Pène : j’attends le nouvel album studio ! Tes petits ont fait leurs preuves en live, il faut les éprouver avec un album studio hahah ^^

Sur ces dernières lignes, je vous souhaite une excellente lecture et une excellente écoute !

NFK

Publié dans Au Sénégal

Coup de cœur série : Maîtresse d’un homme marié

maitresse d'un homme mariéLorsque j’ai séjourné à Dakar au mois de Mars dernier sur invitation des Sabbar artistiques et du Musée des Civilisations Noires (https://cequejaidanslatete.wordpress.com/2019/04/01/sabbar-artistiques-edition-1/) , l’actualité sénégalaise était secouée par le duel opposant l’ONG islamique Jamra et l’équipe de scénaristes d’une nouvelle série télévisée, sobrement intitulée Maîtresse d’un homme marié. Ambiance …

Je dois dire que ce duel et la menace d’une marche de protestation contre la diffusion de la série brandie par Jamra a été le point culminant d’une série de protestations qui durait depuis un moment déjà. Car il faut avouer que depuis que la série a commencé à être diffusée simultanément à la tv et sur Youtube, elle n’a eu de cesse de diviser les internautes, les uns pensant que ce genre de productions venait à point nommé, les autres au contraire arguant que cette série allait contribuer à la dépravation des mœurs des femmes et des enfants. Car il est reconnu que dans une société, les femmes et les enfants en sont la frange la plus fragile et qu’il faut à tout prix les protéger d’une mauvaise influence extérieure.

Ne voulant pas m’ajouter à la horde de voix concordantes ou discordantes, j’ai voulu attendre que la clameur baisse de quelques octaves pour pouvoir visionner la vingtaine d’épisodes composant la saison 1, et pouvoir donner un avis sur Maîtresse d’un homme marié, si minime soit – il.

En questionnant les ami.e.s qui étaient des aficionados de la série, j’ai appris que la série était à l’origine une chronique Facebook et que la créatrice, Marème Dial, a donné son nom à l’un des personnages principaux, la bien nommée Marème. Ce qui m’a amusée, c’est que si la chronique avait été laissée en l’état entre les murs de Facebook, je ne serai jamais tombée dessus, car j’abhorre les chroniques, que je trouve trop fleur bleue et je pense que Facebook n’offre pas le cadre qu’il faut pour acquérir un lectorat. Mais ce n’est que mon avis 😉

Mais un grand bravo à Marème Dial d’avoir écrit cette histoire et bravo aussi aux scénaristes de Marodi TV de l’avoir portée à l’écran, dont Kalista Sy, qui je le pense sincèrement, est en train de révolutionner le paysage audiovisuel sénégalais, tout au moins en ce qui concerne les séries télévisées. Maîtresse d’un homme marié nous plonge dans le quotidien de quatre femmes : Djalika, Marème, Lalla et Racky. Si vous êtes un anti – spoil, arrêtez de lire tout de suite, car pour spoiler, je vais spoiler !

Marème vit en colocation avec Amsa et peine à trouver l’amour. Après une déception amoureuse, elle tombe sur Cheikh, qui est marié à Lalla, femme Sénégalaise dans tout ce qu’il y a de plus soumis, jongué, maîtrisant les codes de la séduction locale, toujours parfumée, bien mise, susurrante, la démarche chaloupée et last but not least, centrant toute son existence autour de Cheikh, son Al Jannah. En plus d’être une working woman accomplie dont la boutique est courue des dames en recherche d’élégance, elle choie Cheikh et leur fille Noura. La femme parfaite, en somme. Mais pendant que Lalla croit que son Al Jannah n’a d’yeux que pour elle, celui – ci entame une relation adultérine avec Marème, qui le rend fou. Marème, à l’opposé de Lalla, est une jeune femme décomplexée, assumant sa sexualité. Donc Cheikh, avec les deux types de femmes que sont sa femme et sa maîtresse, est le plus heureux des hommes. Que demande le peuple ?
Les deux tourtereaux que sont Marème et Cheikh se donnent rendez – vous dès qu’ils le peuvent et parfois même font leurs affaires sur le lit conjugal, dans la maison que partage Cheikh avec Lalla. Cheikh est de loin mon personnage préféré. L’air de rien, il a l’art de se fourrer dans des situations inextricables, mais comme il est fourbe, il se fait aider par son petit frère Biram, qui n’hésite pas à voler au secours de son frère, l’aider à sortir retrouver Marème.

Son frère Biram, personnage torturé et extrêmement gâté, est marié à Djalika, qui se plie en quatre pour que leur mariage marche. Biram sort boire et faire la fête tous les soirs, et les rares fois où il n’est pas ivre mort, il drague tout ce qui bouge. Le personnage de Djalika aussi est intéressant, car il illustre la dureté du mariage sous les latitudes sénégalaises, où les femmes gèrent tout et doivent être irréprochables pour contenter mari et belle – famille. Une charge mentale qui ne dit pas son nom, mais comme dans la psyché sénégalaise la femme doit tout endurer stoïquement pour se voir rétribuée avec une progéniture valeureuse. Le fameux liggeyou ndèye, agnou doom. Surtout si le liggeyou ndèye est composé de coups, d’insultes et de rapports sexuels exigés de force … Car durant un épisode, Biram prend Djalika de force, malgré le refus de celle – ci. Scène classique d’un viol conjugal !

Le dernier personnage clé est Racky. Violée durant son enfance par son père, sa mère lui fait payer l’emprisonnement de celui – ci et la hait de toutes ses forces. Emmurée dans le déni, elle n’a de cesse de reporter sur sa fille la responsabilité de ce qui est arrivé. Cauchemars, stress, nausées, difficulté à nouer des relations, telles sont les conséquences de ce qu’a subi Racky. Jusqu’à ce que Moustafa, pour qui elle commence à avoir des sentiments, l’emmène dans le bureau du Docteur Mbengue, psychologue avec qui elle entamera une thérapie.

J’ai regardé les vingt – six premiers épisodes de Maîtresse d’un homme marié d’une traite, et après avoir terminé, j’ai compris pourquoi la série suscitait tant d’engouement.
Car montrer des jeunes femmes qui s’assument entièrement et qui n’ont pas peur du jugement de la société, ça, c’est inédit. Car dans notre société sénégalaise faussement pudibonde et prompte à contrôler les femmes, ça effraie les mâles dominants de voir des femmes échapper à leur emprise. Voir des femmes s’accepter, voilà le nœud du problème selon moi qui a fait que la série a provoqué un tel tollé.

Maîtresse d’un homme marié effectue une cartographie de la société sénégalaise à nulle autre pareille. Cela va sans dire donc que les hommes, polygames qui ne s’assument pas, seront mis face à leurs contradictions libidinales et ne voudront aucunement que soient portées à l’écran leurs manigances pour endormir la vigilance de leurs épouses.

Au – delà de l’histoire d’amour entre Marème et Cheikh – histoire qui aboutira d’ailleurs au mariage – qui est la toile de fond, la série aborde d’autres thématiques, que sont le viol conjugal, l’inceste, les violences sexuelles, la grossophobie, la polygamie, le mariage et les relations amoureuses adultérines …

Maîtresse d’un homme marié contribue à crever l’abcès des tabous qui composent la société sénégalaise, et rien que pour cela, la série est un pari réussi. La parole féminine doit être libérée, car au nom du patriarcat et de la bien – pensance, surtout masculine, elles sont encore trop craintives. Le divorce, suite à une union devenue invivable, est aussi traité. Les scènes où Djalika décide de reprendre sa vie en main sont jouissives ! J’ai aussi particulièrement aimé les séances de thérapie du Docteur Mbengue qui soigne Racky suite à son traumatisme post – viol et Lalla, devenue dépressive après le mariage de Marème et Cheikh. Dans un pays où montrer que l’on souffre quand on est une femme est impensable, les accompagner durant ces épreuves est crucial.

Vous l’aurez compris, la féministe que je suis recommande chaudement cette série, car avec la mise en avant de ces femmes aux vécus qui s’entrecroisent, l’on voit nettement que la marche pour un changement de paradigme (féminin) est amorcée ; et que rien ne pourra l’arrêter.

Bonne lecture,

NFK

Publié dans Bouquinage

Résister, prendre la parole contre la domination masculine – Maison des Passages, Mars 2019

lyon2Pour sa deuxième édition, l’Association lyonnaise à vocation interculturelle La Maison des Passageshttp://www.maisondespassages.orga organisé un cycle de conférences autour des Perspectives antiracistes et postcoloniales. J’ai eu l’honneur d’y avoir été invitée, aux côtés d’illustres conférenciers et écrivains tels que François Vergès ou encore Boubacar Boris Diop. C’était le 15 Mars 2019. Et tout le mois de Mars 2019 a été l’occasion de faire converger vers Lyon d’éminents penseurs. Le thème autour duquel j’ai été invitée à m’exprimer portait sur la résistance et la prise de parole contre la domination masculine, mais nous l’avons aussi étendu pour réfléchir sur le féminisme, de par sa singularité et son universalisme.

J’ai bien entendu axé mon propos autour du féminisme sénégalais qui est à ce jour, celui que je pratique et maîtrise un tant soit peu. Avant de débuter l’échange avec le public (venu très nombreux, soit dit en passant), Madame Anne Charmasson, qui a eu la charge de modérer le débat, s’est entretenue avec moi.

En partant des tribunes publiées l’année dernière sur le thème des violences sexuelles : https://cequejaidanslatete.wordpress.com/2017/11/13/balance-ton-sai-sai/ & https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/03/16/senegal-silence-on-viole_5272332_3212.html, j’ai tenté de brosser la sphère culturelle et sociétale du Sénégal. Les violences sexuelles n’étaient qu’un prétexte pour entrer dans le vif du sujet.

Ce qui me vaut aujourd’hui de prendre de plus en plus la parole sur le féminisme et les questions de luttes d’émancipation des femmes, c’est la parution de mon essai Vous avez dit féministe? (L’Harmattan, Paris, 2018). Je m’intéressais au féminisme il est vrai, mais pas de façon assez théorique. Aujourd’hui,  je me positionne de plus en plus autour de cette question. Raison pour laquelle j’ai débuté cette année ma recherche en Genre, Politique et Sexualité à l’EHESS. Histoire d’apporter une dimension scientifique à mon positionnement et le genre me permet sous le prisme des rapports sociaux de sexe, de mieux asseoir mon raisonnement et mes travaux.

Notre conversation a ensuite glissé sur l’historiographie du féminisme sénégalais.

Tout chauvinisme mis à part, je pense que le Sénégal a été à l’avant – garde des questions féministes. J’ai pour habitude de subdiviser le féminisme sénégalais en trois temps : le féminisme du XVIIIe siècle, celui des années pré – indépendance et celui de la 3e vague.

Durant les années 1800, 1855 plus exactement, il y avait des reines – mères, dont l’une particulièrement retient mon attention : Ndaté Yalla Mbodj et sa sœur Djeumbeut Mbodj. Dans la région du Walo, ces valeureuses femmes se sont dressées contre le colonialisme et ont tenu tête à l’oppresseur blanc. Dans un régime familial matrilinéaire, les femmes avaient le pouvoir, assuraient la transmission et l’on peut citer à cet effet les femmes de Nder, le lignage se fait par les femmes. Je mets un peu de bémol à cette matrilinéarité, car le frère de la mère, l’oncle donc, assurait la filiation. Les femmes avaient le pouvoir, mais les hommes étaient dans l’ombre. Ce qui n’empêche pas que je considère ces femmes comme étant des féministes, car se dresser pour renverser l’ordre préétabli des choses, se battre pour ses droits ainsi que ceux de ses congénères, je vois là les prémices du féminisme sénégalais. Il y a aussi Aline Sitoë Diatta, au sud du Sénégal, une grande résistante !

Avant les indépendances, lorsque le Sénégal se battait pour accéder à la souveraineté nationale, des femmes se sont dressées à côté des leaders indépendantistes. Je peux citer à cet effet Caroline Faye Diop, première femme à siéger à l’Assemblée Nationale, dont l’histoire retient plus le nom de son mari, Demba Diop. Il y a aussi Mariama Bâ, que l’on connaît plus pour son activité de romancière mais qui s’est beaucoup investie dans les mouvements de femmes.

Lorsque la nation sénégalaise a accédé à l’indépendance et que la place a été grandement occupée par les hommes, les femmes se sont instituées en associations et ont fait entendre leurs voix. Avec le droit de vote qui leur a été accordé, et l’instauration du Code de la Famille, les femmes sénégalaises avaient toutes les cartes entre leurs mains. Sa révision en 1972 une première fois, puis en 1996, instaure pleinement le patriarcat dont vous avez parlé dans votre question et fait passer les femmes de la lumière à l’ombre.

C’est le combat d’associations féministes comme Yeewu Yeewi créée par Marie Angélique Savané qui ont voulu redonner à la femme sénégalaise la place qui lui était dévolue antan. Alors en sus du patriarcat, moi je ne dirais pas que c’est la faute du colonialisme, bien qu’il nous ait fait plus de mal qu’autre chose. Je pense que c’est plutôt la faute à l’homo senegalensis, l’homme sénégalais, qui a pris toute la place et invisibilisé les femmes (exemple prêches religieux).

lyon1C’est ici le lieu de saluer le travail de ces féministes qui jusqu’à présent sont citées comme références et font que des jeunes femmes comme moi ont (re) pris le flambeau, nous qui sommes celles de la 3e vague.

La période pré – indépendance fut révélatrice de la prise de parole féminine et leurs vélléités de résistance. Les femmes, ne voulant pas être en reste dans cette prise de parole, voulant montrer qu’elles avaient aussi leur mot à dire dans la bonne marche du pays, s’organisent en associations, créent des revues et parlent à la femme sénégalaise. L’Union des Femmes Sénégalaises – UFS voit le jour et en 1958 déjà, avant l’accession à la souveraineté nationale, elles parlaient d’égalité des sexes et de parité. Mais l’histoire les a mises au rebut.

La revue Awa paraît entre 1964 et 1973, les femmes s’organisent en associations, parcourent le pays et font prendre conscience à la femme sénégalaise lambda qu’elle comptait. Mais ce n’est pas assez, car ces mouvements féminins ont besoin d’être politisés. L’année 1977 voit la naissance de la Fédération des Associations Féminines du Sénégal – FAFS, l’Amicale des Juristes Sénégalaises – AJS en 1974, suivie de l’Association des Pharmaciennes Sénégalaises quelques mois plus tard. Mais toutes ces associations, aux ambitions quoique nobles, ne remettaient pas en cause l’ordre imposé par le patriarcat et n’intégraient pas dans leurs revendications les questions de genre.

Peu après, les mouvements féministes sénégalais naissent, notamment celui qui est le plus connu à ce jour, Yeewu Yewwi , créé par Marie – Angélique Savané en 1984. Il était temps de changer de paradigme, de durcir le ton et de se positionner par rapport à la société qui ne voyait la femme que comme mère, sœur et épouse. Concomitamment à la création du mouvement, un journal intitulé Fippu se crée, dans lequel les articles des contributrices portent sur la femme sénégalaise et son devenir dans la société : sexualité, coutumes avilissantes, ménages, autonomie financière …

Même si par la suite d’autres mouvement ont été créés, Yeewu Yewwi fut le premier dans le paysage sénégalais à s’être donné une approche féministe et à montrer aux femmes qu’elles étaient capables de s’accomplir.

En sus de la mise sur pied de ces mouvements féminins : des ouvrages paraissent et mettent au cœur de leur narration les préoccupations féminines et les oppressions qu’elles subissent. Dans cette optique d’affranchissement, des ouvrages fondateurs paraissent : Awa Thiam, anthropologue et militante féministe, notamment au Mouvement de Libération des Femmes – MLF publie La parole aux négresses, premier ouvrage écrit par une auteure africaine et donnant la parole aux africaines et permettant de voir les oppressions subies par ces femmes sous le triptyque classisme – sexisme – racisme, à travers des fléaux tels que les mutilations génitales féminines, le système de la dot, les mariages forcés, les grosses précoces, la polygamie …

Nous avons ensuite parlé d’intersectionnalité, de croisement de rapports de domination, de Mariama Bâ, comme mon inspiratrice non seulement littéraire, mais aussi dans l’investissement pour la cause féminine, mais aussi de la nécessité de voir les femmes comme étant une masse non pas homogène et figée, mais hétérogène, multiple, clivante …

Avant de finir sur l’actualité récente sénégalaise qui a porté sur les élections et le manque de représentation des femmes dans celles – ci.

La discussion qui a suivi avec le public a été très enrichissante, avec de multiples relances portant sur les féminismes (notamment français, marocain, nigérian) et m’a confortée dans l’idée qu’il n’existe pas de FEMME, mais des FEMMES !

Merci la Maison Des Passages ! Je reviendrai !

PS : les débats ont été filmés, et je posterai la vidéo une fois que je la recevrai.

Bonne lecture ^^

NFK